L’île/ Malevil
Robert Merle, un écrivain très prolifique, a publié ces deux romans à 10 ans d’intervalle. L’île d’abord. Paru en 1962, Robert Merle est encore un jeune écrivain à cette époque mais il a déjà à son actif une grande oeuvre :
La mort est mon métier, examen minutieux d’un bourreau nazi, de son enfance à ses activités dans les camps. Livre terrible.
L’île s’inspire de l’histoire des marins du Bounty. Une révolte contre l’autorité qui à force de brimades et de punitions inutiles a perdu sa légitimité. Les matelots renversent le tyran et élisent plus ou moins un nouveau chef qui semble juste. Mais là n’est pas le propos du roman ou seulement en partie.
Les marins, qui sont maintenant persona non grata en Angleterre, passent par Tahiti où certains d’entre eux ont noué des liens. Quelques tahitiens décident de partir avec eux à l’aventure, à la recherche d’une île pour y vivre, des tahitiennes aussi.
Anglais, écossais taciturnes et sauvages tahitiens. Plus d’hommes que de femmes. Des femmes mariées à quelques anglais mais mariées à la mode tahitienne (ce qui va déranger des anglais), des femmes célibataires et beaucoup d’hommes seuls. Comment les hommes vont-ils s’entendre ? Quelle place vont prendre les femmes ? Les différences de culture permettent-elles la vie en commun ?
Tout est présenté du point de vu du Lieutenant Purcell. Homme neutre et très chrétien, qui refusera au nom de sa religion de prendre parti. Le regrettera-t-il ?
Sa femme tahitienne l’aidera-t-elle à décider le camp à choisir ?
Une partie du roman se joue là, dans cette incapacité à prendre des décisions, si indispensables soient-elles. L’île est incontestablement un grand roman d’aventure (la couverture de certaines éditions poche peut d’ailleurs laisser à penser qu’il ne s’agit que d’une aventure, une sorte d’île au trésor, presqu’un livre pour enfants ou adolescent). Réduire ce livre à seulement cela serait une grande erreur .
A travers les aventures de ces matelots en révolte, de ces tahitiens qui suivent des anglais par amitié, Merle s’attache encore une fois à l’homme, quelle que soit son origine. L’homme est au centre de son oeuvre ainsi que la nature.
Une autre partie intéressante est donc comment, une fois l’île salvatrice trouvée, l’humain va utiliser les ressources de la nature dans un souci de préservation et d’économie. Ecologiste avant l’heure Robert Merle ? En tout cas défenseur de la Terre et soucieux de la préserver, d’éviter les catastrophes.
1962 : L’ïle et La Nature à l’Etat Sauvage.
1972 : Malevil et La Nature Décharnée.
Roman de fin du monde, d’apocalypse nucléaire mais ici point de zombie. L’homme est un loup pour l’homme disait Hobbes. Merle fait sienne cette citation et décrit sur 600 pages tendues, denses et pleines de rebondissements, des hommes, des femmes tentant de vivre et survivre dans un monde nouveau.
Le parallèle entre ces deux romans, parus en dix ans semble évident.
Malevil est le roman de l’après dévastation, de la reconquête de la nature, d’une nouvelle domestication plus juste et raisonnée. Roman de réflexion sur cet après catastrophe nucléaire. La nature était le centre de L’île. Une nature foisonnante. Ici, c’est une nature en berne qu’il faut apprivoiser et surtout préserver pour espérer vivre encore.
« Nous ne savons plus où nous en sommes et s’il y a encore un avenir » nous confie un personnage dès la deuxième page.
La nature au centre des deux romans. Le deuxième parallèle que l’on peut faire se situe au niveau des hommes.
Un affrontement culturel dans L’ïle, la chrétienté, le crédo du « tu ne tueras point » comme excuse, comme raison pour ne pas prendre parti.
Un affrontement plus direct dans Malevil. Des survivants tiennent un château, une forteresse, qui possède des réserves et quelques cultures encore en état. Evidemment la convoitise et le désir de survivre, voire de vivre presque comme avant viennent en jeu.
La propriété existe-t-elle encore une fois l’apocalypse arrivée ? Le chacun pour soi devient-il la règle? Ne survit-on qu’entouré de ses amis? Et que faire des groupes d’humains décharnés qui demandent de l’aide ? Les réserves seront-elles suffisantes pour tout le monde ou seulement pour ceux du château ? Qui faire entrer ? Qui faire sortir ? Qui doit disparaître ? Et surtout pourquoi ? Que devient l’homme et l’humanité ?
Plus de trente ans après, Cormac McCarthy répond à ces questions dans La Route.
Les méchants d’un côté et les autres, ceux qui en gardant le feu conservent l’espoir d’un monde civilisé.
Robert Merle sera plus nuancé. Le château de Malevil se permet d’accueillir des hommes qui doivent se conformer au « plan » du chef . Chef qui étendra son influence ailleurs que dans le château, qui ralliera à lui des petits groupes autonomes en renforçant ainsi son influence et sa force. Quitte à passer parfois pour un tyran.
Les dernières pages de Malevil sont très belles et fortes. Elles sont une analyse d’un des personnages importants du roman sur les actions d’Emmanuel, ce chef contre qui, il a parfois lutté.
Emmanuel était-il si tyrannique dans ses décisions ? Pourquoi a-t-il fait ce qu’il a fait ? Quel bien la communauté en a-t-elle retiré? Et en a-t-elle eu plus de bien ou de mauvais? Qu’aurait fait un autre homme à sa place? Qui aurait été assez fort pour mener l’après apocalypse et sauver ses amis ?
Ce sont les dernières questions de Malevil.
Elles continuent de hanter longtemps après la lecture de ce grand roman.
Bonjour,
Si je puis me permettre, je pense que vous passez à coté du thème principal du roman, à savoir, la condition féminine. Merle s’était outré lui même, lors de l’adaptation au cinéma, de cette omission.