[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#7c3b1c »]I[/mks_dropcap]l serait bien présomptueux de définir le moment exact où le rock est mort. J’ai bien quelques indices permettant de remonter à cette époque où quelques milliers d’utopistes célébrèrent l’amour et la paix sur les terres du fermier Max Yasgur. Adieu le noble tangage des pionniers, les impies aux cheveux longs s’irritent les tympans et amorcent la décadence du genre. Pire, leurs progénitures vont faire des émules en brandissant fièrement la devise « sexe, drogue & MTV ». La messe est dite, inutile de recourir au carbone 14 pour dater le phénomène. Lenny Kravitz et Marilyn Manson nous l’ont chanté, c’est vous dire la pertinence de l’agonie. Vous allez me rétorquer qu’une réanimation aurait pu être tentée. A l’exception notable de ce 30 août 1992 où Donita Parks lança son tampon usagé dans la fosse du Reading Festival, je ne vois aucun signe d’espoir tendant à une quelconque résurrection. Le capitalisme aura perverti progressivement l’antre même de notre sacro-sainte culture populaire… Décédé tragiquement avec une bougie d’anniversaire de trop, le suédois Avicii manqua l’opportunité, lui aussi, de rentrer dans l’histoire du célèbre « club 27 »… Au rayon des antiques roulis, il faudra désormais plonger dans des boites d’archives aux odeurs de poussière et de naphtaline.
Malgré une privation évidente de matière, quelques irréductibles tentent aujourd’hui de ranimer la flamme avec cette once de naïveté qui se mêle à une frustration évidente, caractéristique d’une gangrène qui infecte ceux qui n’ont plus grand-chose à becqueter. Certains sombrent même dans la folie en comparant une jeune artiste australienne à un vulgaire paillasson ! Triste illustration d’une ère où les observateurs ont paumé la boussole. Dans ce lugubre panorama de perdition, nulle autre issue que celle qui leur suggère de ravaler leur bile et de rejoindre l’autre hémisphère. Il faut admettre qu’au pays des wallabies, la sinistrose est une étrangère qui n’est pas prête de poser ses valises.
Aux abords du port de Melbourne, la scène musicale est particulièrement vive. Derrière quelques têtes d’affiche, nous retrouvons les garçons de Rolling Blackouts Coastal Fever dont j’avais eu le plaisir l’an passé de vanter les mérites d’un second galop d’essai, transformé sous les sillons de l’excellent EP intitulé The French Press :
(…) Six titres qui louvoient entre infusions post-punk sous joviale tension et pop ciselée pouvant porter son regard vers le folk ambitieux de vieux compatriotes comme les indispensables The Go-Betweens. Une influence classieuse surtout évidente pour les deux derniers titres du disque. C’est vous dire si leur musique sonne plutôt bien !
The French Press, sorti chez Sub Pop depuis le 10 Mars dernier, pourrait bien devenir votre meilleur compagnon dans cette salle d’attente qui s’impatiente déjà d’une fourniture plus étoffée (…)
La belle promesse est restée bien chaude dans mon esprit et c’est donc avec un plaisir non dissimulé que je me suis précipité sur Hope Downs lorsque ce premier album est venu frapper à la porte de notre rédaction.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#7c3b1c »]J[/mks_dropcap]e vais être direct, histoire de ne pas ménager un simulacre de suspens, Fran Keaney, Tom Russo, Joe White, Joe Russo et Marcel Tussie sont parvenus à diffuser leurs ondes lumineuses de la plus habile des manières. An Air Conditioned Man démarre en trombe, sans aucun préliminaire. Telles des alarmes qui hurlent sous un soleil de plomb, les guitares percutent un max (Mad Max ?) au moyen de déflagrations qui nous donnent des fourmillements dans les gambettes. La rythmique est accrocheuse et balance illico le ton … (en accords majeurs). Loin d’être de simples primates savants, les acrobates s’éclatent sur leur manche et donnent la réplique au baratin dans lequel je me suis lamentablement fourvoyé par trop de sarcasme. Non, le rock ne s’est décidément pas rétamé ad vitam æternam et Rolling Blackouts C.F a intégré le clan de ceux qui peuvent encore se vanter de tenir bien haut le flambeau.
Comment ne pas fondre face aux saccades bigrement évidentes de Talking Straight dont le chant de vieille canaille pourrait presque invoquer le célébrissime iguane. Chez ces descendants de bagnards, il n’y aura point de prise de caboche, les refrains rebondissent avec leur pesant de révérences électriques sans que l’on puisse ergoter sur l’aspect classique de l’exécution.
C’est le cas également avec Mainland dont l’air semble ancré dans notre cerveau depuis des lustres. Il faut avouer que les arpèges emmêlés à quelques riffs obsédants nous offrent le suc qui vient abreuver leur monture. Imaginez la poussière qui macule votre visage, l’odeur tenace de la gazoline qui vous transporte sur ses routes infinies, une vaste mine à ciel ouvert et les interrogations qui fulminent quant à la place de l’Homme dans cet univers.
Pour autant, les pensionnaires de Sub Pop sont très loin de se palucher dans un philosophisme grotesque. L’illustration est par essence redoutable sur les deux minutes montre en main de Time In Common, morceau marqué par l’urgence punk et qui n’est pas sans rappeler la vigueur éclairée des Clash. Avec Sister’s Jeans c’est un autre veine qui s’exprime par le biais d’un rock de surfeurs (pas si éloigné d’ailleurs de certaines vieilles productions des Pixies)… Il n’est pas impossible de songer que l’influence de l’océan Pacifique y soit pour quelque chose. En tous les cas, le titre assume sa nonchalance accompagnée d’une belle pelletée de vibrations chaloupées.
Une des caractéristique singulière du groupe s’exprime dans un effectif composé de trois chanteurs et guitaristes. Sans venir pervertir la cohérence de l’ensemble, cette multiplication des possibles s’entend pleinement sur leur premier long format. L’émulation est forcément au rendez-vous et le plaisir véhiculé par ses acteurs assez vite transmis aux auditeurs que nous sommes.
Le point culminant du disque se niche sans aucun doute dans les saturations salvatrices de Bellarine, chanson une fois encore exécutée à toute berzingue. Une voix de sale gosse répond à des entrechats plein d’ampleur. Au décryptage des couches successives, j’ai la langue qui pendouille de plaisir… La mélodie est fichtrement racée et la suite ne va pas s’affaisser dans le piège de la mièvrerie de fin de chantier.
Cappuccino City sera d’ailleurs parfait pour l’été, servi frappé avec sa ritournelle rieuse qui ferait passer Mac DeMarco pour un énergumène sous speed. Quelqu’un se dévoue pour m’accompagner sur le transat au bord de la piscine ?
Bref, inutile d’en faire des caisses, Hope Downs est une franche réussite et ce n’est pas celles et ceux qui suffoqueront dans le récit musclé d’Exclusive Grave qui pourront prétendre le contraire. Cette nouvelle plage au chant percutant quitte le désert de Tanami pour un dancefloor survolté, le tout grisé dans un final grinçant à souhait. Un autre régal qui se fond dans la cohérence d’un ensemble soft punk jamais dépourvu de fougue et d’éclats.
« Talking straight », un mélange entre The Fall et les tout premiers albums de Midnight Oil.
Et dans d’autres titres, on entend parfois le formidable album de Big Troubles « Romantic comedy ». Merci pour cette découverte le premier jour de l’été.
Ravi que cet album vous plaise Pierre-Olivier. Bon été à vous !
J’ai envie de répondre « U2 » mais je crois qu’entre amateurs d’aussi bonne musique, cela pourrait être mal reçu.. Bon été à vous aussi, donc..