[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#9DC557″]L[/mks_dropcap]a ruse est un trait encore communément attribué à l’élégant goupil, notre voisin roux des forêts ; le piège cruel et magnifique que représente une toile d’araignée a pu être maintes fois observé par les moins arachnophobes d’entre nous, et qui n’a pas déjà eu l’occasion d’assister aux divers subterfuges dont un chat use pour parvenir à ses fins ?
La nature n’est pas qu’une vallée bucolique simplement agitée par des vents sibyllins. En son cœur en effet se jouent des intrigues où l’illusion est reine… Martin Stevens, professeur à l’université d’Exeter au Royaume-Uni (groupe de recherche Sensory and Evolutionary Ecology) nous propose une surprenante visite guidée de son cabinet de curiosités riche en simulacres et art de la duperie.
« Ruse : Procédé habile pour tromper.
Syn. Artifice, feinte, manœuvre, stratagème. » ( Le Robert poche plus)
Fort d’une didactique toute britannique, Martin Stevens dévoile au fil de chapitres aussi fluides que méticuleux tous les paramètres propres au domaine du vivant qui engendrent ce besoin de tromper.
À commencer par l’enjeu primordial de tout organisme, celui de se procurer de la nourriture.
Dans cette affaire, tout est question d’équilibre. L’individu doit veiller à ce que l’énergie, le temps et la prise de risque soient absolument nécessaires. C’est pourquoi certaines espèces (notamment les oiseaux) n’hésitent pas à échanger entre elles des « signaux d’alarme » : sécurité et gain de temps assurés… (certains acheteurs de pots de pâte à tartiner en soldes devraient franchement y songer, mais bref passons.) Il s’agit donc ici de stratagème.
Les prédateurs, eux, semblent plus familiers de « sinistres méthodes » lorsque leur ventre crie famine. À l’instar de l’araignée citée un peu plus haut et de sa toile invisible… Mais l’attente et le hasard n’ont pas cours chez Madame tarentule, aussi elle développe un « pouvoir d’attraction » en créant des « signaux visuels » à l’aide de tas de détritus et autres constructions de soie parsemées sur son piège translucide…Sa manœuvre est si redoutable que les mâles arachnéens doivent tapoter d’une manière bien précise sur la toile pour signifier qu’ils souhaitent se reproduire et non être dégustés !
La survie ne se résumant pas qu’à un estomac plein, il faut aussi savoir se protéger des menaces diverses et variées ! Le camouflage reste alors la tactique imparable, l’artifice suprême ! Tout le monde a en tête l’impressionnant petit caméléon, mais le cas du phalène de bouleau (papillon) est aussi surprenant : capable de s’adapter à son milieu, il choisira l’arbre le plus adéquat à sa dissimulation en fonction du degré de pollution de la forêt où il se trouve.
La fuite est souvent ce qu’il y a de plus recommandé en cas de danger imminent, mais il arrive que certains tentent la feinte, le « bluff » (amateurs de poker lisez-bien). Cela peut alors se traduire par un brusque changement d’apparence (crêtes, piques, couleurs, sons inattendus…), la réussite de cette tentative d’intimidation dépendra avant tout de l’effet de surprise…
Du mimétisme à la coévolution en passant par l’exploitation sensorielle, cette balade biologique s’attache à humblement mettre en lumière ces trésors d’adaptation du vivant, découvertes singulières et fabuleuses.
Martin Stevens vulgarise sa discipline sans pour autant la négliger : bon nombre de travaux sont cités, de Darwin, Wallace et consorts à ses propres contemporains, références en notes de bas de page et à la fin de l’ouvrage à l’appui.
Mais il ajoute surtout à son essai Les ruses de la nature, une saveur qui, le temps de quelques pages, donne au lecteur un accès privilégié aux mystères qui l’entourent : celui de l’émerveillement, ouvert au champ des possibles.