[dropcap]M[/dropcap]ême si vous ne connaissez pas son nom, il est cependant fort probable que vous ayez déjà entendu, sans le savoir, la voix profondément évocatrice et immédiatement identifiable de la chanteuse américaine Sarah Rebecca. Parisienne d’adoption depuis une bonne décennie, cette artiste aussi exubérante qu’intense aura illuminé de son timbre envoûtant nombre de salves électro-pop conçues au sein de l’Hexagone, du sexy et roboratif Flash façonné avec le duo Slove au tube Diamond Veins du producteur en vogue French 79, ou plus récemment encore, deux titres du charmeur Lovers, dernier album en date du facétieux Marseillais Kid Francescoli, ou l’électrisant Time Is Money de Dopamoon.
Comme pour accompagner l’arrivée imminente de l’été, Sarah Rebecca publie ces jours-ci un premier véritable long format à son nom, donnant ainsi une suite concrète à une poignée de singles, publiés en 2014 sur le label Her Majesty’s Ship sous l’alias S.R. Krebs, qui reprenait alors encore son patronyme intégral. Pour l’occasion, la chanteuse s’est entourée d’une armée d’orfèvres sonores, retrouvant notamment Julien Barthe, moitié du duo Slove et activiste électro chevronné sous la bannière Plaisir De France, et la Japonaise Narumi Herisson, membre du trio Tristesse Contemporaine, ou confiant par ailleurs les rênes d’un tiers des titres ici dévoilés au producteur Jonathan Ducasse, plus connu sous l’alias John And The Volta.
Le collectif ici aux manettes semble avoir mis un point d’honneur à sculpter un univers musical cohérent et homogène, collant à la perfection aux mélopées ourdies par la maîtresse des lieux.
Si la diversité des contributeurs et de leurs identités sonores respectives pourrait laisser craindre un éparpillement disparate, force est de constater que le collectif ici aux manettes semble avoir mis un point d’honneur à sculpter un univers musical cohérent et homogène, collant à la perfection aux mélopées ourdies par la maîtresse des lieux. Bien qu’une majorité de la quinzaine de chansons ici présentée creuse le sillon d’une électro-pop accrocheuse et remuante, déjà bien balisé par les collaborations extérieures précédemment évoquées, cet album riche et attachant laisse néanmoins pointer d’autres sensibilités conséquentes, comme sur le r’n’b mutant et chaloupé d’un Can’t Explain idéalement placé en ouverture, ou sur l’envolée onirique flamboyante de Call Me, qui évoque les pistes les plus galvanisantes du meilleur M83 et voit Sarah Rebecca tutoyer les anges déchus pour mieux leur apporter son réconfort.
[dropcap]M[/dropcap]ême lorsqu’ils font mine de rester dans un pré carré électro mélodique, la chanteuse et ses acolytes parviennent avec maestria à multiplier les variantes, instaurant un climat vaporeux et ensorcelé sur un languide Rainin’ In Love que ne renierait pas le duo britannique Goldfrapp, distillant une pulsation hypnotique et hantée sur le sombre et martial Keep The Faith, nous invitant à basculer dans une atmosphère irrésistiblement langoureuse sur le moite Music In My Mind, ou taillant un hymne dancefloor au doux parfum de révolution des mentalités sur un New World fédérateur, au slogan sans appel ni détour : « I know that I can change your mind » (« Je sais que je peux te faire changer d’avis »).
Plus loin, on ne peut s’empêcher de lui trouver une parenté d’âme avec son illustre compatriote Rihanna, dans cette façon si particulière de conjuguer assurance insolente et introspection douloureuse, dans l’étourdissant tourbillon d’un Doin’ It For Love à cœur ouvert comme sur un Make Me Smile solaire à double tranchant : « If it wasn’t for my beauty / Would you still be by my side ? » (« Si ce n’était pour ma beauté / Serais-tu encore à mes côtés ? »). Ailleurs, Sarah Rebecca semble invoquer la morgue mordante et crâneuse de Madonna sur l’entêtant Angel Wings, dresser un totem de sensualité mystique sur l’enivrant et vertigineux Higher Desire, dont la progression inexorable et insatiable marie une pulsation viscéralement tribale à de délicates caresses harmoniques, ou prôner les vertus d’un hédonisme nyctalope sur un imparable Nightliners, au motif de guitare groovy et précis.
[dropcap]C[/dropcap]ependant, sans dissiper le moins du monde la réussite indéniable de ces tubes potentiels taillés sur mesure, la nature profonde et éclatante de la personnalité multiple de Sarah Rebecca s’illustre de la manière la plus tétanisante sur quelques ballades faussement apaisées et réellement déchirantes. Ainsi, la bouleversante Song Of Devotion tisse un canevas empreint d’une désolation paradoxalement lumineuse, que vient investir dans les grandes largeurs son chant poignant et magistral, tandis que la même mélancolie prenante traverse de part en part A Woman I Don’t Know, litanie métronomique en forme d’irrépressible quête de soi, qui laisse poindre, derrière la fébrilité de son abattage, une flamme digne de celle qui nimbait le sublime 808s & Heartbreak, sommet de tension émotionnelle et lacrymale lâché par un certain Kanye West il y a plus de dix ans déjà.
Mais, comme on le sait déjà pour l’avoir vu offrir sur le net durant le récent confinement quelques performances sur le fil (dont une version troublante du mythique Bizarre Love Triangle de New Order), accompagnée de sa seule guitare, Sarah Rebecca est capable d’un plus grand dénuement encore, sans faire perdre le moins du monde à ses chansons funambules, entre feu et glace, leur incontestable pouvoir de séduction massive. Ici, c’est en compagnie du pianiste Pierre Naffah que la chanteuse trousse deux véritables merveilles d’intimisme extrême, sous la forme de la confession abrupte de All That I Am, qui esquisse avec une grâce voluptueuse l’accomplissement d’un vœu de rédemption, pour elle-même comme pour les autres (« All that I am is forgiveness » / « Je ne suis que pardon »), et, surtout, du final en apothéose de The Magic, qui vient conclure les grandes manœuvres sur une note gorgée d’un fragile espoir renvoyant à l’essentiel : l’Amour majuscule, celui que l’on reçoit, que l’on donne ou même, comme ici, que l’on scrute avec une sincérité particulièrement désarmante, devient alors une véritable profession de foi, un sacerdoce fiévreux d’une portée à la fois indicible et incontournable.
S’adresse-t-elle ici à un amant éperdu, un enfant endormi, un parent protecteur, un proche disparu ou tout cela à la fois ? Cette interrogation compréhensible paraît pourtant presque futile, tant cette chanson sidérante transcende ses propres mots pour atteindre, juchée sur la cime de sa puissance majestueuse, une corde sensible universelle.
[dropcap]P[/dropcap]our beaucoup de ses pair(e)s, contemporain(e)s ou non, le parcours ici dessiné, entre conte initiatique salvateur et volonté farouche d’en découdre avec l’existence, aurait pris plusieurs années de carrière et justifié des virages stylistiques probablement surprenants et spectaculaires. Mais Sarah Rebecca n’en est visiblement plus à d’éventuelles tergiversations obsolètes et chronophages, car cet épatant premier album, qu’elle domine de son chant aussi incroyablement expressif que formellement incandescent, expose avec brio toute la palette émotionnelle dont elle est capable, retraçant dans un mouvement ample et généreux, doublé d’un aplomb exemplaire, les méandres de son histoire personnelle, entre hédonisme frondeur et sagesse durement acquise.
Cet épatant premier album, que Sarah Rebecca domine de son chant aussi incroyablement expressif que formellement incandescent, expose avec brio toute la palette émotionnelle dont elle est capable.
Néanmoins, aucune analyse, fut-elle au scalpel, pas même la présente chronique, ne pourrait suffire à décrire avec exactitude et exhaustivité la dualité intrinsèque à l’impressionnante lame de fond émotionnelle qui peut nous saisir, sans vergogne, au détour de chaque plage de ce disque-somme, véritable trésor paradoxal dont le caractère fièrement festif et joyeusement épicurien ne peut éluder une profonde mélancolie, si hautement suggestive qu’elle semble bel et bien gravée dans le marbre.
En ce sens, le meilleur moyen de l’évoquer serait peut-être de se contenter d’accoler le titre de son ouverture prometteuse à celui de sa conclusion renversante, tout en rendant les armes en se laissant charmer sans résistance par l’assaut prodigué par son écoute intégrale.
La magie, ça ne s’explique pas.
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Sarah Rebecca – Sarah Rebecca
Exclusivement disponible en version digitale depuis le vendredi 19 juin 2020 via le label Alter K.
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Un immense merci à Olivier Rigout pour Alter K.
Photo : ©Nicolas Wagner