[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]orsqu’un cinéaste s’attaque à l’éternel silence des espaces infinis qui effrayait déjà Pascal, il tombe sous le poids d’une gravité insoutenable, celle du 2001 de Kubrick. On en a déjà beaucoup parlé fin 2013 avec Gravity, puis fin 2014 Interstellar.
Fin 2015, donc, Ridley Scott embarque pour l’espace, et l’on se surprend agréablement à ne pas mentionner l’encombrant ancêtre, malgré les belles stations spatiales, les intérieurs laiteux aux courbes harmonieuses et le ballet des corps en apesanteur.
Pour une raison essentielle et qui fait toute la réussite de ce film : il ne s’agit pas ici de faire du décor le motif à un questionnement dans lequel on révélerait ses limites. Point de symbolique pesante (la naissance fœtale et la mort dans Gravity), point de philosophie gloubi-boulgesque (le destin, le temps et l’amour dans Interstellar), mais un film d’aventure, une réjouissante robinsonnade qui aurait mis de côté la complexe philosophie du solipsisme qu’avait par exemple ajoutée Tournier dans ses Limbes du Pacifique.
Et Scott d’ajouter, avec son équipe, ces ingrédients d’une simplicité si confondante qu’on en avait oublié l’existence : des choses en MOINS.
Pas de méchant, pas d’histoire d’amour, presque pas de famille.
De ce point de vue, la bande-annonce était sacrément trompeuse, et pour une fois dans le mauvais sens : le montage (à 2’31 dans cette version) laisse entendre une famille restée sur terre, alors qu’idée de génie, il n’en est rien. Notre botaniste peut se consacrer à l’essentiel, survivre, et comme c’est un américain et qu’on a pour une fois bien envie de le suivre, avec la décontraction et le sens de la classe inhérente à sa race lorsqu’elle est brossée par Hollywood.
Cet humour, voire ce dilettantisme, pourraient être des motifs d’irritation. Il n’en est justement rien. Parce que cette forme est au service d’un fond bien excitant : la suite de résolution de problèmes, sous le coup d’une vulgarisation scientifique à l’enthousiasme tout à fait communicatif. Bien entendu, les traits sont gros et les solutions improbables par moments, mais le plaisir l’emporte. Le montage parallèle entre la Terre et Mars pour montrer la collectivité au service de solutions, voire ce vœu utopiste de voir se joindre la Chine à ce sauvetage interplanétaire contribuent à une atmosphère presque inédite à laquelle on a envie d’adhérer.
Car cet élan motivé se retranscrit aussi dans la mise en scène, qui parvient à doser savamment les trois pôles Mars/Terre/Espace, nous rassasiant d’images en apesanteur pour mieux nous confronter à une atmosphère à suivre. Et si le primat est accordé à un Matt Damon esseulé, le recours aux caméras embarquées et au journal de bord dynamisent de façon pédagogique et ludique son parcours.
Certes, nous aurons droit à des américains qui applaudissent dans leur salle de contrôle tous les quarts d’heure, d’un sens de la solidarité et de l’économie qui laissent dubitatifs, et d’un recours à une bande son disco qui laisse penser qu’on voudrait retrouver la formule gagnante des Gardiens de la Galaxie.
Mais on fera avec. Seul sur Mars est une excellente surprise, le clin d’œil d’un vieux briscard qui s’est plus d’une fois embourbé dans ses propres grosses machines, et retrouve avec malice la fibre qui manque tant au cinéma des dernières décennies : faire de nous des enfants.
Des pommes de terre mais un navet intergalactique.