Petite question pour débuter cette chronique : Outre la pratique d’objets pouvant, selon la façon dont ils sont utilisés, faire du bruit ou de douces harmonies, quels points communs peuvent avoir Skepticism et PJ Harvey ?
Le style ? Le Funeral Doom de Skepticism a autant à voir avec PJ Harvey que Claude François avec les électriciens Black Sabbath. Le chant ? Le Funeral Doom… J’ai beau tourner et retourner la question, après quelques heures de réflexion intense, la réponse s’impose d’elle-même : aucun. Pourtant, vous devez vous en douter, il en existe bien au moins un : en janvier dernier (le 24 pour Skepticism), les deux ont décidé, à quelques milliers de kilomètres de distance, d’enregistrer leur nouvel album dans des conditions particulières, celles du live. Si PJ Harvey a choisi une approche plus arty (l’enregistrement comme sculpture sonore mutante), Skepticism, pour Ordeal, a opté pour une approche plus crue, sans artifices, face à son public.
Ordeal, poursuit cette voie vers la lumière de façon étrange
Vous me demanderez : c’est qui Skepticism ? Je vous répondrai de façon simple : un groupe Finlandais rare qui, en 25 ans d’existence, n’a publié que cinq albums (dont celui qui sera chroniqué là maintenant, tout de suite), tous des références en matière de Funeral Doom. Si les trois premiers disques ont vu le groupe creuser le même sillon (lent, très lent et plus noir encore que lent) jusqu’à en devenir parfois abscons (Farmakon notamment : expérimental et très abstrait sur certains morceaux), les Finlandais, avec Alloy, et sans changer d’un iota leur attitude, voient leur Funeral sortir des ornières en y ajoutant une majesté inédite précédemment. Ordeal, leur nouvel album à sortir le 18 septembre, poursuit cette voie vers la lumière de façon étrange.
Étrange car le groupe, en signant chez Svart, semble avoir rempli un cahier des charges très précis comprenant deux conditions : d’une, sortir Ordeal en vinyle. Ce qui impose, comme vous le comprendrez, des conditions très précises : respect d’un certain format donc (comprendre une vingtaine de minutes maximum par face avec deux morceaux s’enchaînant puis applaudissements à la fin) et un nombre de titres bien défini (ici, huit). Dans ces huit titres, le groupe n’avait en stock que 6 nouveaux morceaux (3 faces si on fait bien les comptes). Il a donc fallu rajouter deux réinterprétations d’anciens titres (Pouring, présent sur Stromcrowfleet et The March & The Stream, présent sur Lead & Aether).
De deux, sortir le groupe de l’ombre dans laquelle il évoluait comme une mouette dans le mazout. En planifiant une campagne marketing béton avec annonce du retour et des conditions particulières d’enregistrement d’Ordeal en début d’année; puis annonce de la sortie en juin finalement repoussée à septembre avec présentation d’un morceau histoire d’appâter et satisfaire le client. Ajoutez à cela la présentation de l’artwork, classe, et des photos du groupe en pleine lumière et vous tenez là un retour orchestré de main de maître.
Si la forme est donc parfaitement maîtrisée, qu’en est-il du fond ? Pour le fond, aucun changement à prévoir, les éléments restent les mêmes. A savoir un orgue magnifique et omniprésent, un batteur sous overdose d’anxiolytiques qui est dans l’incapacité totale d’aller plus vite qu’un Droopy sous ecstasy mais cogne comme un sourd, un chanteur/carverneur s’égosillant du fond des abysses et des guitares moins tranxénées et plus bavardes qu’à l’habitude. Bref, Skepticism fait du Skepticism et continue à creuser inlassablement le même sillon. A la différence près qu’avec Ordeal les Finlandais l’ont tellement creusé qu’ils ont presque atteint l’autre côté et commencent à entrevoir la lumière. Leur Funeral en devient de plus en plus majestueux, voire spectaculaire, de moins en moins abstrait et se pare même d’une mélancolie presque touchante (le final de Closing Music). Et en devient paradoxalement moins accessible.
Une écriture ample, épique
Car Ordeal se mérite, Ordeal n’est pas un album facile. Là où les précédents disques développaient des atmosphères prenantes mais quelque peu policées, où le mixage accentuait de façon nette l’aspect claustro et flippant de leur musique (sans toutefois altérer la qualité de leurs compositions car pour tenir l’auditeur en haleine pendant près de dix minutes sans l’ennuyer ou le faire fuir, il faut tout de même avoir un sacré talent), Ordeal, avec sa prise de son Live, gomme tout ça pour ne mettre en avant que la qualité des compositions. Avec ce son cru, rêche, l’album s’avère plus difficile d’accès, pour ne pas dire dérangeant, aux premières écoutes, allant même jusqu’à heurter la sensibilité (la voix notamment, par moment fatigante, ainsi que les automatismes/contraintes liés au format). Le temps ensuite de s’y habituer, à mesure des écoutes, l’album se dévoile peu à peu et les Finlandais y affirment une écriture ample, épique, dans la continuité de Alloy, très cinématographique. Les chansons prennent ainsi une ampleur passionnante (il suffit de jeter une oreille aux douze minutes de l’excellent March Incomplete où on jurerait presque entendre le Joy Division de Closer se mettre au Funeral Doom), laissant plus d’espace aux claviers, tirent vers le clair-obscure, moins abstraites dans la forme, plus mélodiques et directes une fois domptées mais toutes aussi risquées de par la captation live. Le groupe perd en obscurité ce qu’il gagne en profondeur et même en intensité. Bien-sûr, ils sont rompus à l’exercice du Live, mais enregistrer des nouveaux morceaux dans ces conditions change quelque peu la donne et ça se ressent pas mal à l’écoute : le groupe semble plus concentré si ce n’est tendu, accentuant de fait cette intensité.
En somme, avec Ordeal, Skepticism fait sienne la maxime de Lavoisier « Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme« . Rien ne change chez Skepticism mais sur Ordeal tout y est différent, plus intense, majestueux. Il aura donc fallu attendre huit ans entre Alloy et Ordeal pour que Skepticism termine sa mue. Huit années ça peut paraître long mais au vu de ce qui en ressort, on se dit que l’attente en valait vraiment la chandelle.
Sortie le 18 septembre chez Svart Records avec en bonus un DVD du concert et chez tous les disquaires accrédités PFG.
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