[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]’est noté sur la pochette : il y a des titres aux morceaux. A la première écoute, on se demande pourquoi et surtout, d’où peuvent-ils bien provenir ? Tailladé (c’est le mot exact) en onze titres, Aurore est une invitation au cauchemar, aux rêves perturbés, aux craintes les plus ancrées en soi.
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]ertes, c’est l’œuvre de Marcel Duchamp à laquelle on pense immédiatement, puis finalement, on s’en éloigne rapidement. Les images se bousculent. Des images elles-mêmes bousculées. Le duo Grenoblois, formé au début des années 80, A enregistré pas loin d’une quinzaine de disques, et c’est avec l’aurore que j’ai vu la lumière.
Entre Field Recordings, Dark Ambiant, industriel et fraise de dentiste, cette musique apposée comme une incantation dérangée, remue sacrément les tripes pour qui parvient à s’y accrocher. Car il faut bien l’admettre, rester suspendu au sillon tient peut-être du défi. Les voix, murmurées, saturés, réverbérées, vous convient joyeusement dans une cave humide, histoire de jouer aux osselets avec les restes de corps célestes aux entournures douteuses. Les ambiances se succèdent et vous ramènent toujours au centre. Il suffit d’écouter les premières « mesures » pour comprendre que le temps est à l’orage. Orage que l’on croise aux détours d’un morceau, ainsi que le vent, la pluie, le ressac incessant d’une vague métallique.
S’il n’est pas forcément simple d’entrer dans le disque, il est presque moins évident d’en sortir (vivant ?) car cette voix incessante, entêtante et pourtant susurrée vous donne à prêter l’oreille puisqu’au an fond de vous, rien n’y fait, vous avez envie de savoir : Qu’est-ce qu’il dit ? Et il faut bien l’admettre, rien n’est moins évident que de piger tout le propos et paradoxalement, c’est ce qui vous adhésive gentiment. A force de tendre l’oreille, de vous tirer l’oreille, d’effleurer votre tympan, vous finissez par baigner dans cette osmose sonore absolument chaotique et froide qui agresse parfois mais qui hypnotise indéniablement. Bien évidemment, ici, les codes des structures sont ignorés, pour ne pas dire bafoués.
Peu importe. La musique dite « expérimentale », ne connaît pas de frontière et la raison est simple et pragmatique. Elle se moque de sa résonance, de sa diffusion, et de sa lisibilité, elle est façonnée par l’envie d’exister comme un mode d’expression propre, comme ces peintures abstraites, ces films expérimentaux. Aurore est un disque profondément visuel, profondément pictural, mais qui ne se contente pas d’une image figée sur une toile ou de pixels qui dansent de concert sur un écran toujours plus géant. Comme toutes les œuvres abstraites, ou expérimentales, elle interpelle plus qu’elle ne séduit, lors des premières minutes, mais rien n’y fait, l’ambiance glacée d’un vieux frigo abandonné vous serre la main pour vous embarquer, puis vous serre le cœur, pour vous abandonner à vos chutes intérieures.
Ce disque vous met les bras en croix, attachés à des chaînes bringuebalantes, en noir et blanc flirtant avec le monochrome. La grisaille s’est installée comme une chape de plombe, mais se voit perturbée à de nombreuses reprises comme des dents de scie ; car oui, une fois encore, ça cisaille régulièrement.
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e ballet incessant de pluies métalliques qui nécessitent un parapluie en plomb laisse de temps aux autres de passer l’orage pour les oiseaux migratoires, mais tout le long de ces quarante minutes, le disque n’a de de vous malmener comme pour vous dire qu’il est impossible de trouver la lumière, aussi lointaine fusse-t’elle. Aurore , cet album d’ Etant Donnés est glacial. C’est une carte postale des Baléares collées sur les murs d’une morgue désaffectée. Un film de sorcières sous ecstasy, une course folle dans une forêt isolée ! Ce disque est la véritable B.O. du premier Vendredi 13, surtout lorsque les choses dérapent soudainement. On pense alors écouter le MP3 de Jason, en personne. Hurlements à bon escient, au moment même où l’on se croyait à l’abri, presque somnolent de plaisir. Un plaisir cotonneux et réconfortant.
Les bruits de pas, les oiseaux, les chants étranges, et les notes plombés d’un synthé rachitiques concourent à vous inquiéter d’avantage. A l’instar de certains groupes de métal, voire de Black Métal, les paroles, inaudibles, font visiblement appel à des forces qui nous dépassent, des forces un peu malsaines, avant de laisser place aux bruits blancs, aux infra basses rappelant les grandes heures allemandes, et toujours et encore ce ressac infini comme fil rouge du disque. Un rouge sang, de préférence.
Aurore est disponible chez Penultimate Press