Just For A Day 1991
L’histoire de Slowdive commence à l’aube des 90’s, en pleine explosion du rock indépendant anglais, sous toute ses formes, du shoegaze à la dream pop.
Pour être tout à fait précis, c’est en 1989, du côté de Reading, que Rachel Goswell et Neil Halstead, à peine sortis de l’adolescence décidèrent de créer Slowdive, nom de choisi en l’honneur d’une chanson de Siouxsie & The Banshees, un des groupes préférés de Rachel. Le premier line-up comportait déjà Nick Chaplin et Christian Savill, la batterie était alors tenue par Adrian Sell qui cédera la place à Neil Carter puis Simon Scott.
Slowdive signe rapidement chez Creation Records, le label phare du rock indépendant anglais mené de main de maître par le génialement fou Alan McGee. Le quintet enchaîne rapidement les premiers enregistrements pour quelques EPs de haute volée, Slowdive, Morning Rise et Holding Our Breath paraissent très rapidement et installent le groupe dans le sillage des Cocteau Twins ou de Pale Saints, à quelques encablures des déjà phénoménaux My Blody Valentine.
Leur premier album Just For A Day, enregistré en quelques semaines, parait en septembre 1991, deux mois avant le tsunami Loveless. Forcément, Slowdive, malgré un beau succès commercial (top 10 dans les charts indés anglais) souffre de la comparaison et subit quelques critiques qui semblent bien injustifiées, 25 ans plus tard, même si en effet, Just For A Day n’est pas à la hauteur de la suite de leurs aventures.
« Just For A Day » impose […] le groupe comme l’un des meilleurs de son époque
Le shoegaze est en effet entrain de laisser la place au Grunge et à la Britpop, MBV s’embarque pour une courte pause de 22 ans, Slowdive semble donc être là au mauvais moment, trop tôt ou trop tard pour la féroce presse musicale anglaise.
Le disque commence parfaitement bien, avec 3 magnifiques morceaux, Spanish Air, Celia’s Dream et Catch The Breeze, qui servira de single. Par la suite, le groupe embarque sa dream pop à l’extrême, la mélodie noyée sous des tonnes d’effets au risque de faire passer Cocteau Twins pour Mudhoney et à frôler parfois dangereusement les limites de l’ennui.
Just For A Day semble piocher dans le meilleur de l’époque, une pointe de Ride par ci, un soupçon de Lush par là, l’insouciance adolescente en mètre étalon de morceaux qui semblent s’élever comme des braises prises par le vent à l’instar de la montée finale et l’enchaînement céleste The Sadman/Primal.
Les voix de Neil et Rachel font déjà des merveilles et réussissent à s’imposer face aux guitares saturées et au ras de marée sonore permanent. Si Just For A Day n’atteint pas les sommets à suivre que furent Souvlaki et Pygmalion, il impose néanmoins le groupe comme l’un des meilleurs de son époque, déjà prêt à prendre son envol pour se démarquer du tout venant shoegaze dans lequel on voulut trop vite les enfermer.
https://youtu.be/HoXA2M8rAsg
Souvlaki, 1993
Après un essai prometteur mais tout de même assez bancal, Souvlaki sort deux ans plus tard. L’évolution est énorme. A un point tel que, on ne le mesurait évidemment pas encore à l’époque, l’aura de Souvlaki scintillera chez bon nombre de groupes en activité aujourd’hui encore. Pas de Souvlaki, pas de A Perfect Circle.
Pas de « Souvlaki » , pas de A Perfect Circle.
Evidemment, l’ombre des Cocteau Twins n’est jamais bien loin, mais uniquement pour la forme. Slowdive, à l’instar d’un groupe comme The Cure, fait du Slowdive. Il est difficilement envisageable de les raccrocher à une autre entité que la leur.
L’étiquette shoegaze s’étiole, le groupe nous prouve qu’il est capable de fulgurances pop. Une pop cotonneuse, enveloppée dans de l’ouate, toute étrange et simple à la fois. La voix de Rachel Goswell est mise en évidence comme étant un parfait contrepoint au chant somnolent de Neil Halstead. Et ça marche. Du moins rétrospectivement.
Si aujourd’hui il ne fait aucun doute que certaines chansons touchent la grâce absolue, à l’époque la réception était plus que frileuse. Le NME, qui faisait vraiment la pluie et le beau temps encore à l’époque, par l’entremise d’un de ses journalistes, Dave Simpson, eut ces mots très durs à la sortie de l’album : « Je préférerais encore me noyer dans un bain de porridge plutôt que d’écouter ça une deuxième fois ». Étant aujourd’hui journaliste au Guardian, il serait intéressant de réentendre son point vue. Car à l’écoute des joyaux que sont When The Sun Hits, Alison, Souvlaki Space Station ou encore Dagger, il y a fort à parier que le porridge ne fait plus partie de son quotidien.
A noter que l’album a eu les faveurs d’une ressortie en 2005 avec pas mal d’inédits, dont la reprise de Lee Hazlewood, Some Velvet Morning comme point d’orgue.
La suite continuera, dans un tout autre genre, à être très intéressante.
Pygmalion, 1995
Nous en sommes donc là : en 1994, Slowdive est en pleine débâcle : Souvlaki est un four, descendu par toutes les critiques anglaises (NME et Melody Maker en tête) qui s’acharnent dessus, insensibles aux charmes de cet opus majeur. Simon Scott quitte le groupe et suite à des problèmes avec la compagnie organisant leur tournée aux States, qui se verra par ailleurs qualifiée par un des chroniqueurs d’allmusic comme « une des plus paresseuses jamais organisées » (SBK, pour ne pas la nommer, s’est amusé à envoyer une cinquantaine de flyers aux fans et promis à ceux-ci une copie de Souvlaki s’ils en faisaient la promo autour d’eux), ils se voient contraints de la financer par leurs propres moyens.
Slowdive voit son orientation musicale changer à -180 °
C’est donc dans un contexte légèrement hostile que le groupe panse ses plaies, trouve en la personne de Ian McCutcheon un remplaçant de Simon Scott aux fûts et prépare Pygmalion.
Le 06 février 1995, en pleine période hivernale, sort donc Pygmalion. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne pouvait pas en être autrement pour le choix de la sortie. En effet, presque entièrement écrit par Halstead (seuls deux morceaux le seront avec Goswell), Slowdive voit son orientation musicale changer à -180 °.
Deux hypothèses peuvent entrer en ligne de compte pour expliquer ce virage : d’un côté l’état psychique d’Halstead qui, à force d’avoir des rapports plus que tendus avec la presse musicale anglaise (ayant promis au groupe de les descendre à chaque sortie de disque faut-il le rappeler) et des ventes pas terribles, finit par déprimer sérieusement ; de l’autre, et ça me paraît bien plus probable, la rencontre avec Brian Eno a laissé des traces indélébiles. Et ce sur plusieurs plans : l’écoute, les influences (l’ambient, le classique vont entrer en ligne de compte sur Pygmalion). Le fait de faire ce qu’ils veulent sans tenir compte de l’avis des autres (en gros de faire comme Hollis et sa bande lors du Spirit Of Eden). Et enfin en composant leurs chansons sans s’occuper des formats.
En effet, si Souvlaki était un disque court, pop, à la lisière de l’expérimental ou du dub, aux morceaux plutôt structurés, Pygmalion lui, laisse libre cours aux longues plages ambient, aux expérimentations en tout genre, très influencées par les travaux d’Eno, le Seventeen Seconds des Cure (les nappes synthétiques sur Cello rappellent A Forest), les Cocteau Twins, AR Kane ou Labradford mais aussi, et plus étonnamment, par le compositeur classique expérimental Roumain György Ligeti. Non seulement d’un point de vue musical (le travail sur la voix, les échos de Rachel Goswell rappellent par moment le travail du Roumain) mais aussi d’un point de vue visuel : les anglais vont reprendre certains motifs du Lp Artikulation pour créer leur couverture.
Toujours est il qu’en février 1995, alors que PJ Harvey s’apprête à sortir To Bring You My Love le 28, qu’Oasis est au sommet des charts, que Bjork triomphera quelques mois plus tard avec Post, tout comme Pulp avec Different Class, Pygmalion fait figure de vilain petit canard de par son atmosphère glaciale, de sa volonté jusqu’au-boutiste et ce désir de ne plus coller à son époque. Halstead, tout comme Nick Drake avec Pink Moon, a créé seul dans son coin Pygmalion en s’immergeant dans l’ambient et laissant de côté tout le superflu. Il en ressort un album très expérimental, d’apparence statique, bourré d’échos, dans lequel émerge deux chansons « normales » et placées en fin de disque, dont l’une préfigure la suite du parcours de Goswell et Halstead (Mojave 3 donc).
Cependant, outre ces deux chansons, il contient des morceaux sublimes, faisant de lui un classique quasi immédiat ; Les 10 minutes de Rutti vous laissent en plein milieu de l’Antarctique, seul à admirer la beauté de ces paysages quasi-vierges. Miranda, et son folk anesthésié par le gel, dominé par des échos spectraux flippants est rien moins que fascinant. Idem pour Visions Of La (évoquant la beauté d’un This Mortal Coil), ou Trellisaze, morceau complètement déstructuré, effrayant et proche du chaos.
Mais si certains autres vous envoient dans l’espace sur une station Mir abandonnée et à la dérive (Crazy For You, J’s Heaven), celui qui impressionne le plus, avec Rutti, c’est Blue Skied ‘ N Clear, relecture admirative du I Believe In You de Talk Talk par Eno confinant au sublime et illustrant la définition même du Pygmalion : celui qui rend hommage à l’objet de son amour en faisant tout pour le rendre célèbre. Bref, si on élargit au disque, et pas seulement à Blue Skied, tout Pygmalion est l’hommage d’un musicien à ceux qui l’ont inspirés (Eno, Hollis, Sylvian, etc…) et aussi un formidable pied de nez suicidaire à l’industrie musicale qui souhaitait les formater et en faire un groupe pop.
Le prix à payer d’un tel acte est évident et ne s’est pas fait attendre : pendant un temps l’album fut retiré du catalogue de Creation quelque semaines après sa sortie, entraînant la séparation du groupe et l’exil sous un autre patronyme pour les deux têtes pensantes (Mojave 3) vers des terres plus accueillantes (4AD). Il n’empêche qu’en vingt ans le culte autour de Slowdive n’a cessé de grandir, nombre de musiciens actuels se réclament de leur influence et la renaissance en 2014, avec tous les membres originels et le succès qui va avec, est une juste reconnaissance de leur immense talent. Ne reste plus qu’à espérer que le nouvel album, chroniqué ce soir en ces lieux, soit à la hauteur de nos attentes.