[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]orsque j’ai demandé à Marc Villemain de nous faire part d’un souvenir de lecture estivale j’ai oublié un mot : « lecture ». Marc Villemain nous parle donc d’un souvenir d’été, tout simplement …
Disons-le sans ambages : ce que l’on me demande, là, raconter « un souvenir de vacances », au mieux relève d’une de ces ricaneuses provocations dont l’air du temps est friand, au pire d’une méconnaissance assez crasse de ce qu’est la vie d’un écrivain – d’où l’on pourrait d’ailleurs nourrir quelque sincère inquiétude quant à la santé mentale des critiques, pourtant éminents, qui composent l’équipe d’Addict-Culture.
Sans ambages, disais-je donc, quoique sans en prendre ombrage : si d’aucuns, arc-boutés sur leurs principes comme d’autres à leur ego, pourraient à juste titre s’offenser d’une telle requête, je préfère, moi, dans le doute, vous faire profiter de son bénéfice : aussi m’efforcé-je de me convaincre que, si vous péchez en effet, ce n’est que par légèreté.
Car, quoi ! Peut-on seulement songer qu’un écrivain puisse jamais prendre vacance ? Pense-t-on sérieusement qu’il en ait le loisir ? Qu’il serait assez frivole pour en concevoir le désir ou en fomenter l’idée ? Assez inconséquent pour se laisser détourner de sa charge au motif d’une récréation ? Non, braves gens, mes amis, votre sollicitude me touche, comme assurément elle touche maints de mes infortunés collègues, mais voyez-vous, nous autres, écrivains, travaillons du chapeau (de paille), sans pause ni rémission (fût-ce en tongs et à l’ombre d’un parasol, fût-ce, même, dans la société de quelques beautés exotiques ou hospitalières) à donner un peu de sens à notre séjour sur Terre – et au vôtre, soit dit en passant. Vous en conviendrez, un tel office n’admet pas que l’on fasse relâche.
Mais puisque la chance vous sourit – je suis dans un bon jour, je n’ai pas à forcer ma vertu pour vous témoigner ma mansuétude –, je consens à vous raconter ce que, non sans platitude regrettable, vous désignez par souvenir de vacances.
Naturellement, je pourrais convoquer quelque scène balnéaire et croquignolette : moi, sous les yeux ébahis de cette petite Anglaise qui en perdait ses tâches de rousseur, urinant d’allégresse sur la chair molle et rabelaisienne d’une méduse agonisante ; moi enfonçant virilement la tête dans l’eau de mon cousin de Bretagne et l’y maintenant jusqu’à suffocation (et vomissures) ; moi encore, dérobant avec grand adresse la tétine d’un chiard et trempant sa terminaison, tétable et suçotable, dans un étron canin ; moi toujours, dégainant mon pistolet en plastique et tirant à bout portant une fléchette dans l’oreille d’une mamie grassement affalée sur une serviette-éponge sponsorisée Ricard et qui, le poste de radio réglé au plus haut de son volume, s’esclaffait en écoutant les « Grosses Têtes ». J’en passe et de plus spirituelles encore, tant rien de tout cela ne vaut la peine d’être rapporté.
Non, décemment, honnêtement, le seul, grand, unique, définitif, merveilleux souvenir que je puisse avoir d’une période estivale, c’est ce moment, si complet qu’à lui seul l’existence tout entière pourrait s’en trouver justifiée, c’est ce moment, disais-je, à la toute fin de l’été, tandis que le bon peuple se remet avec plus ou moins d’élégance de ses longues semaines de débauche, de passivité béate et autres turpides innommables, où j’ai pu mettre le point final à un prochain roman.
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Merci à Marc Villemain de nous avoir offert ce texte.