[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#b6b83b »]I[/mks_dropcap]l va falloir quelques écoutes pour tout recevoir, tout comprendre, tout appréhender, avec douceur et complexité. squimaoto, c’est l’art de vous faire tancer sur un air ingénu, de vous faire valser, mais contre les murs, de vous faire tourner en rond en vous plongeant dans un mutisme fleuri, charmant et obsédant.
squimaoto est un trio féminin formé à Kobe, Japon, en 2003. Elles ont cessé toute activité autour de 2008. Kawabata Makoto s’est récemment attelé au remixage et à l’adaptation de leur premier album, édité en 2007 en CD pour le format LP.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#b6b83b »]E[/mks_dropcap]t ce trio japonais vous questionne dès les premières notes. Comment aborder un tel disque ? Sous quelle étoile est-il né ?
À voir les trois frimousses des musiciennes, rien ne laisse présager d’un tel chaos. Pour autant, il ne s’agit pas là d’un chaos absolu, entier et incontrôlé. Au contraire, le chaos est ici synonyme de boucles, de retours à la case départ permanent, puis de détours, et de chausse-trappes récurrents. Là où l’on pense avoir trouvé la réponse, les questions s’accumulent.
Faut-il alors citer des noms pour se fabriquer des repères, de toute façon biaisés par l’absence de références suffisantes ? On pourrait citer un Sonic Youth sans larsens, un Deerhoof qui ne sautillerait pas, un Blonde Redhead en transition, voire This Heat sous saké, mais ce serait oublier tout le reste.
Dès les premières notes de l’album, le rythme est carré, obsédé par la symétrie et malgré cette lointaine guitare, aux échos frappés comme dans un entrepôt glacé, les cymbales martèlent une cadence ni infernale ni paresseuse.
C’est là que se situe le « malaise ». Ce rythme cotonneux inflige à l’auditeur une sensation de voyage opiacé au pays du rock indépendant des meilleures années. Les huit minutes de Uida qui ouvrent cet album semblent vouloir procrastiner l’explosion, et évoluent lentement autour d’un motif obsessionnel qui tourne en boucle sur quelques secondes.
Après vous avoir attrapé, le trio s’amuse à vous relâcher, vous donnant ainsi la sensation de vous envoler pour la légèreté, l’arrimage onirique, puis la guitare joue avec nos nerfs en surenchérissant derrière une folle cavalcade.
Cette impression de départ permanent déstabilise à la première écoute, et puis au fil des écoutes, les ritournelles enfantines s’imbriquent les unes dans les autres, alors que les cordes des guitares se détendent, se voilent, comme pour vous donner de la houle aux quatre vents. Le bateau vous rend alors ivre, de bonheur et d’incertitudes, d’impatience et d’horizons perdus.
Les voix de Hagi et de Natsue se mêlent habilement vous susurrant à l’oreille les merveilles d’un conte insaisissable, mais qui n’a de sens que si personne ne le comprend.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#b6b83b »]T[/mks_dropcap]out le mystère reste entier du début à la fin, faisant l’économie des textes, ne lâchant que quelques bribes au hasard, pour laisser le chemin ouvert aux accords de Tokyo comme une évidente comptine.
Vodnik s’ouvre comme un morceau de Sonic Youth, période Jim O’Rourke, où la colère semblait contenue, dans le suspend de toute agression. Les motifs pendus aux cordes se répètent, tournoient dans l’espace magnifiquement mis en scène par Kawabata Makoto, très inspiré, et ne lâchent plus votre attention. On s’attend à l’explosion, le bouquet des pétales qui s’envolent, mais c’est sans compter la malice du trio qui a bien compris qu’il fallait ménager l’éclosion, pour en savourer les débordements.
Shtumm And Restless prépare un terrain sans balise, avec des accords frappés, désordonnés, des voix qui papillonnent, comme un écho à Joan La Barbara, avant la course folle qui va finalement venir clôturer un disque formidable de retenue et de malice. La production de Kawabata Makoto a pris la juste mesure du savant dosage de ce trio majestueux et roublard à la fois en laissant l’espace nécessaire aux notes pour exister entre deux, avant la bourrasque Hets. L’album prend alors une tournure clairement inattendue, mettant en perspective tout le déroulé précédent comme une danse préparatoire à l’orgasme débordant.
Hets fait alors sauter tous les verrous, les barrières, et les faux départs disparaissent dans un déluge de décibels et de feedbacks attendus depuis le début. Mais, là encore, le piège aurait été de jouer avec une certaine facilité dans l’explosion des sens, et le trio a la lumineuse idée de déborder sans lâcher prise, et la batterie maintient la cadence tout mesurant le poids de l’excès. La tension, palpable, à son comble, ne retombe pas vraiment puisque l’explosion se fait dans une certaine frustration bienvenue qui vous demande encore un peu de ménager le suspens, d’attendre encore un peu que les murs s’effondrent.
La question est alors de savoir s’ils vont crouler sous le poids des décibels. Charge à vous de le découvrir car comme tout bon suspens, il serait dommageable d’en dévoiler l’issue.
Sorti chez Bam Balam Records en vinyle le 23 mai et chez tous les disquaires no wave de France et de Navarre.