[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]i vous ne connaissez pas encore Béatrix Beck, précipitez-vous pour lire ce réjouissant roman. Vous serez chahuté(e)s, charmé(e)s, ravi(e)s par une écriture dont la gouaille, la gourmandise, la délectation à s’amuser avec les mots triomphent de toutes les résistances et des esprits les plus chagrins.
Publié une première fois en 1988 chez Grasset, Stella Corfou connaît une nouvelle vie grâce aux éditions du Chemin de Fer qui ont fait de Béatrix Beck une auteure-phare de leur catalogue. On ne peut que saluer cette dynamique éditoriale remettant en lumière une écrivaine qui se voulait libre, affranchie de toute règle de stylistique ou de bienséance. Lire Stella Corfou, cela fait un bien fou. C’est véritablement jouissif, inconvenant, exubérant. C’est pouvoir toucher les étoiles, aimer à la folie, jurer comme une charretière, boire à la santé des morts et ripailler sur leurs tombes, chanter « Elle a les yeux revolver », se laisser entourbillonner par les mots et la grâce d’une héroïne irrésistible…C’est aussi se plonger dans les illustrations hautes en couleur de Florence Reymond, délicieusement crues et malicieuses, tout droit sorties d’un cabinet d’extravagantes curiosités.
Comment ne pas tomber amoureux de Stella Corfou ? Ex-Gilberte Sanpart, elle est devenue une fabuleuse créature. Outrageusement belle, gourmande de vie et de désir, elle envoûte, affole, tous ceux qui croisent son chemin : hommes, femmes, enfants sont emportés par cette tornade sensuelle et libre, déclarant « Personne ne peut attenter à ma pudeur, je n’en ai pas ». Une vraie Esmeralda à la « lourde et sombre chevelure que sa mère voulait castrer » et qui, au volant de sa camionnette, avale les kilomètres à la recherche d’objets hétéroclites qu’elle revend sur son stand de brocante aux Puces Matabois. Pas de Quasimodo en revanche dans son sillage car « Les mecs moches, je leur crache dessus ». Elle ne s’embarrasse pas de politesses, Stella, elle est tout entière, généreuse à sa façon. Elle fait aussi penser à Barbarella avec ses tenues sexy en latex, révélant un corps sculptural :
« Parfois, Stella abandonnait les tenues de l’impasse pour des pantalons de plastique noir moulant ses fesses lunaires et leur raie. Pour réussir à les enfiler, devait se coucher par terre jambes en l’air. Annonçait : « Je vais me faire la peau. » Serres écaillées, elle n’avait pas la patience d’attendre immobile que durcisse Rose noire ou Dahlia rose. Paupières ciel, paupières cerise, paupières saumon, émeraude, contre-vents scintillants. Cils de suie sur l’écarquillement du regard. Perdue dans un nuage de fumée devant un monticule de cendres (…) »
Quand Antoine Leroy, chef du rayon bagagerie aux Galeries 2000, « petit-bourgeois réservé », la rencontre, c’est le ciel qui lui tombe sur la tête. Tombé amoureux fou, il lui demande de l’épouser. Elle accepte et commence alors l’histoire torride et émouvante d’un couple uni jusqu’à la mort.
Antoine est prêt à tout pour que Stella soit heureuse et soit sublimée. Il encourage les talents dont elle fait preuve. Tout comme elle collectionne les objets, elle collectionne les dons. Elle réussit tout ce qu’elle touche, amassant « à la va comme je te pousse ». Acheteuse, vendeuse, chanteuse, danseuse, peintre et surtout écrivaine. Alors qu’elle se dévoile sans aucune gêne dans un quotidien qu’elle parsème de paillettes, l’écriture est son jardin secret. Antoine parvient à vaincre la pudeur de sa belle et la voilà qui devient, ses talents d’écriture révélés, « étoile grandissante » de la sphère littéraire. On lui reconnaît du style, « de la patte », on est étourdi – ou choqué – par « les détails scatologiques, obscènes, pornographiques – les solécismes, barbarismes, néologismes ». C’est le succès pour ses deux premiers livres Merde à celui qui le lira et Classée X. Mais quand elle souhaite changer de registre, s’essayant à la narration d’idylles plus chastes et d’une prise de voile, elle se heurte à l’incompréhension. Les éditeurs et la réussite s’éloignent. La fiction rejoint ici le réel, Béatrix Beck ayant connu elle aussi des déboires éditoriaux qui l’ont fait cruellement souffrir.
Blessée, Stella décide d’arrêter d’écrire et veut quitter la Capitale. Le couple alors vend le pavillon de banlieue et devient « caravanier ». Ils s’installent d’abord dans le petit village du Beau-du-Bout, Stella émoustillant le curé, l’instituteur, amadouant les enfants et s’attirant les foudres des épouses. Ils partent ensuite en Espagne, en Italie, en Angleterre et même à Istanbul jusqu’à ce que la vie les contraigne à immobiliser leur caravane… Mais toujours, l’amour flamboie, électrise. Antoine continue à adorer sa compagne, « figure de proue d’un navire dans la tempête par elle-même suscitée », et toujours Stella l’enveloppe de ses petits mots doux rien qu’à elle, rien que pour lui : « Mon loup », « Mon lilas », « Mon petit gars en or », « Mon bijou »…
Quelle merveilleuse histoire d’amour… La folie, la liberté, la jubilation transforment le réel en beauté grisante, les cœurs battent à tout rompre et les mots s’inventent, s’illuminent comme les étoiles.
Feuilletez le livre :
Stella Corfou de Béatrix Beck, vu par Florence Reymond, éditions du Chemin de Fer, novembre 2016