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Quand on s’attaque à l’œuvre du génial mais irascible Mark Kozelek, on sait qu’on s’aventure sur un terrain aussi extraordinaire que dangereux. Il faut dire que le grand homme est un rouleau compresseur qui enchaîne disques sur disques, concerts magnifiques et coups de gueule terrifiants, prêt à faire pleurer ses fans de plaisir ou de douleur.
Alors quand sort son nouvel album au sein de Sun Kil Moon, intitulé Universal Themes, la sympathique rédaction d’Addict Culture s’est précipitée dessus, s’est engueulée, s’est déchirée pour finalement arriver à la conclusion qu’à 3, nous ne serions pas de trop pour en parler.
Universal Themes fait débat : pour les uns un superbe album violent et triste, pour d’autres une honte pour qui a été bercé dans sa jeunesse par les somptueux albums de Red House Painters et un gros bof pour les amateurs de Sun Kil Moon version Admiral Fell Promises ou Among The Leaves.
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Étant gaulé comme une ablette et équipé de superbes oreilles en parfait état de marche, je me ferai un plaisir de vous dire tout le bien que je pense de cet album, Jism et Davcom, des grands gars costauds mais aux conduits auditifs légèrement détériorés émettront un avis moins enthousiaste à leurs risques et périls sur ce nouveau Sun Kil Moon.
« Some people love what I do, and some get fuckin’ pissy, but I don’t give a fuck, one day they’re all gonna miss me.« , c’est à peu près sur ces mots que se termine l’album et le terrible This Is My First Day and I’m an Indian and I Work at a Gas Station. Mark Kozelek, ici toujours accompagné de l’ex Sonic Youth Steve Shelley semble en effet avoir définitivement largué les amarres et fait et chante ce qu’il veut, comme il veut et tant pis pour ceux qui ‘aiment pas. On croisera ainsi Jane Fonda, Ben Gibbard, Rachel Goswell mais aussi des boxeurs (le terrifiant Ali/Spinks 2), un opossum en train de mourir et quelques autres joyeusetés.
Ses thèmes universels sont tout simplement les siens, sa vie, ses problèmes, ses repas, l’embourgeoisement et la mort qui approche trop vite, beaucoup trop vite. Comme toujours avec Kozelek, on oscille entre humour décalé et profonde déprime, on peut rester perplexe devant de tels détails personnels, une telle logorrhée (8 morceaux pour 70 minutes), on peut aussi (et c’est mon cas), s’émouvoir de son mal-être et de sa perplexité devant un monde qu’il semble comprendre de moins en moins.
Musicalement, c’est la même chose, Mark Kozelek fait ce qu’il veut, de manière certes souvent foutraque quitte à déstabiliser l’auditeur. Les morceaux sont longs, accélèrent, ralentissent, repartent dans une toute autre direction. On croirait même parfois entendre Sonic Youth sur Ali/Spinks 2 ou With A Sort Of Grace I Walked To The Bathroom To Cry, le morceau le plus barré de l’album, entre Led Zeppelin et Swans un jour de pluie, avec ses solos de guitares improbables et cette voix triturée, torturée à en devenir quasiment un cri de bête.
Universal Themes semble commencer comme un Sun Kil Moon classique mais Possum prend rapidement une tournure plus électrique avant de laisser place à du spoken word et quelques notes de guitare. Avec les années qui passent, Mark Kozelek se rapproche de plus en plus de Lou Reed. Birds Of Flims est une superbe ballade, la chanson la plus classique de l’album, si ce n’est le traitement de la voix, doublée voire triplée. Little Rascals n’est que tension et colère froide avant de revenir à l’émotion pure sur le splendide Garden Of Lavender.
Universal Themes est un disque noir, libre et puissant, pied de nez à la vie et portrait émouvant d’un artiste à part.
Beachboy
Maintenant que le Bon a fait sa chronique, voyons ce que vont en penser la Brute (incarnée ici à merveille par Davcom) et surtout le Truand (en l’occurrence moi.)
Déjà, pour commencer, je ferai fi de cette réplique cinglante proférée par mon prédécesseur envers mon collègue et moi-même et me ferai un devoir de rétablir mon honneur bafoué : non, ici personne n’a les conduits auditifs détériorés. Certes, certains ont eu les neurones quelque peu cramés à la vision de pochettes qui piquent les yeux ou à l’écoute de disques parfaitement inaudibles (n’est-ce pas Monsieur Beachboy ?) mais les conduits auditifs de cette charmante équipe d’Addict restent en parfait état de fonctionnement. Il fallait que ce soit dit. Passons maintenant aux choses sérieuses avec Universal Themes, septième album de Sun Kil Moon. Qu’en dire ? Sur le fond, je ne suis on ne peut plus d’accord avec Beachboy, sur la forme en revanche…
A l’écoute de Universal Themes, je me suis dit qu’il serait temps que le Woody Allen du Slowcore mette un peu d’ordre dans son inconscient. Parce qu’une fois l’écoute terminée, j’ai juste trouvé que ça partait un peu trop dans tous les sens cette affaire là. A ce niveau, ce n’est même plus de la logorrhée mais une sorte de verbigération musicale sans véritable cohérence, faite de poussées hormonales faisant penser que le Marko, ben… il vit sa Midlife Crisis en ce moment même et tient à nous la faire partager.
Bien sûr, on pourra toujours rétorquer qu’il s’agit là du journal d’un révolté, d’un gars qui ne comprend plus le monde dans lequel il vit… mais tout de même. Lui qui nous a habitués à des splendeurs d’une précision et d’une limpidité redoutables, c’est moche tout ça. Ça commence dès The Possum avec ce chant traînant et plaintif, ces voix dédoublées, ces ruptures faisant penser que le Marko il a plein d’idées mais qu’il ne sait pas où aller. Ça continue dans le même registre avec With A Sort Of… sauf que Marko là, il sort les muscles et en plus, il a la haine (du moins les voix dans sa tête, elles, elles l’ont). Par moment ça se calme, mais ça revient avec Ali/Spink 2 où on a envie de lui crier : « mais bordel, Marko, accorde tes guitares et surtout tes voix !!!! » parce que la dissonance ça te va aussi bien que le Bel Canto à Garou. Et puis c’est pas comme si d’autres s’y étaient déjà frottés avec un résultat plus convaincant (regards vers Glenn Branca). Alors c’est quoi ton problème ? Le démon de midi qui te chatouille ?
Fort heureusement, c’est de Mark Kozelek dont on parle. Irascible et têtu certes mais toujours capable de pondre des merveilles, d’être touché par la grâce. Ici c’est Birds Of Flims, là Garden Of Lavender. Et le gars est toujours un fin mélodiste qui, même dans ses moments les plus bruitistes, les plus déroutants, fera tout pour vous accrocher les conduits auditifs (les dernières minutes de With A Sort Of… sont splendides). Dommage que l’équilibre entre finesse et dissonance n’aille pas à l’avantage de la finesse, que Kozelek n’ait plus la clairvoyance de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. Mais bon, on ne lui reprochera pas d’être une personne entière, exposant ses qualités comme ses défauts. C’est même ce qui rend au final Universal Themes attachant car même si la réussite n’est pas complète, il y aura toujours chez Sun Kil Moon des moments de grâce éclipsant les ratages. On aurait juste aimé qu’il y en ait plus pour ce disque (qui reste, mais c’est mon avis, bien supérieur à Benji).
Sur ces propos d’une rare pertinence, je laisse maintenant la parole au flingueur de première : Davcom.
Jism
Un artiste à part. C’est précisément ce qu’est Mark Kozelek. On l’a dit et répété, l’homme est prolifique. Rien qu’entre 2012 et 2014, ce ne sont pas moins de 5 albums studios, avec Sun Kil Moon ou issus de collaborations diverses, tous d’assez bonnes factures d’ailleurs, qui ont vu le jour.
Depuis l’annonce de la sortie de ce Universal Themes, aux alentours de février, trois titres ont été jeté en pâture sur la toile. The Possum, dont les quasi neuf minutes m’ont d’emblée semblé indigeste, Ali/Spinks 2 et son rock Lo-Fi binaire tournant un peu en roue libre et le joli Garden Of Lavender qui aurait pu figurer sur Among The Leaves. C’est dire si l’appréhension d’une écoute complète était pour ma part assez bien présente, moi qui n’avait déjà goûté que modérément au pourtant unilatéralement acclamé Benji, le précédent album.
Première constatation, la longueur de chacun des titres. Du plus court (06.45), au plus long (10.12). Certes, ce n’est pas, loin s’en faut, la première fois qu’il nous fait le coup des longs morceaux, mais on atteint ici des sommets en terme de durée, mais aussi en répétitivité, ce qui est aussi une des marques de fabriques de Kozelek, mais qui passe moins bien chez votre serviteur cette fois-ci, la faute sans doute à un phrasé-parlé obsessionnel et assez irritant.
Deuxième constatation, le parti-pris d’une production plus âpre, en témoigne With A Sort of Grace I Walked To The Bathroom To Cry, où l’on jurerait entendre Thurston Moore à la guitare, guitare qui rejette toutes velléités techniques qui faisaient des merveilles sur April ou Admiral Fell Promises.
Vous l’aurez compris, cet Universal Theme ne passera pas par moi. Tout au plus, avec Garden Of Lavender cité plus haut, je retiendrai Birds Of Films, plutôt proche de ses productions d’avant 2010 ou encore This Is My First Day And I’m Indian And I Work At A Gas Station clôturant l’album. Un peu trop juste pour en faire un grand disque, voire tout simplement un bon.
Si j’avais un voeux à formuler, ce serait celui-ci : Marko, laisse tomber Adam Granduciel, il ne te la sucera jamais, et les Fucking Hillbillies resteront toujours des têtes de nœuds, quoique tu fasses, ou dises. Laisse tomber Lou Reed, tu seras toujours meilleur en Neil Young.
Davcom