D’un point de vue purement pratique, Leaving Meaning., le nouvel album de Swans a l’avantage sur ces glorieux prédécesseurs de ne pas vous obliger à poser deux jours de RTT pour en faire le tour. The Nub, le plus long morceau dépasse à peine les 12 minutes et fait petit joueur face à The Glowing Man ou Bring The Sun /Toussaint L’Ouverture.
On reste quand même dans des proportions sympathiques et inhabituelles, puisqu’il vous faudra le temps d’un match de foot, arrêt de jeu compris pour subir les assauts de Mickael Gira et ses nouveaux compagnons de jeu.
Toutes considérations de temps mises à part, c’est en effet un nouveau virage que prend Gira sur ce 15ème disque. La clique, qui illumina les années 10 de quatre œuvres en tout point uniques après un hiatus de près de 15 ans, explose en plein vol pour laisser place nette et accueillir de nouveaux collaborateurs.
C’est d’ailleurs une habitude prise par l’irascible et exigent leader du groupe, de plus en plus omnipotent. Schématiquement, tous les 10 ans, les cygnes, animaux majestueux mais au caractère de merde, se métamorphosent, se réinventent et deviennent même des anges de lumière, le temps d’une décennie où la noirceur abyssale semblait sauver par l’amour.
Swans s’élance, autour de Gira et du fidèle guitariste Norman Westberg, au début des années 80 à New York dans le bruit et la fureur de la no wave et sort son premier disque en 1983, l’effrayant Filth, bientôt suivi par le tout aussi électrifiant Cop.
L’arrivée de la chanteuse Jarboe contribue à transformer le son du groupe et apporte un début de douceur toute relative mais peu à peu le groupe se fait moins expérimental et radical, comme sur le splendide White Light From the Mouth Of Infinity sorti en 1991.
Les 90’s sont d’ailleurs absolument passionnantes et le groupe réussit à aborder tous les styles et réussit à se rendre unique, et ce, jusqu’au monstrueux Soundtracks For The Blind qui pousse le drone, le post-punk ou l’expérimental dans ses derniers retranchements.
S’ensuit une longue pause, pendant laquelle Gira reste très actif, aussi bien en tant que patron du label Young God Records qu’au sein d’Angels Of Light, superbe groupe neofolk qui verra passer le long de 6 albums, Devendra Banhart, Kid Congo Powers ou bien encore Akron/Family.
Swans repart en 2010, avec My Father Will Guide Me Up A Rope To The Sky, autour de Gira, Thor Harris, Christoph Hahn, Phil Puleo, Chris Pravdica et Norman Westberg. Le groupe aligne les concerts de plus en plus puissants et intenses qui donneront matière à une trilogie exceptionnelle : The Seer, To Be Kind et The Glowing Man. Swans est (re)devenu un groupe majeur, unique et incomparable, il était donc temps que Gira casse tout ça et s’offre un nouveau virage !
Sur Leaving Meaning., le batteur Larry Mullin fait son retour, les guitaristes Christoph Hahn et Norman Westberg sont toujours là, alors que c’est l’allemand Yoyo Röhm qui prend la basse en compagnie de Christopher Pravdica. Cependant, c’est surtout grâce à la présence d’invités prestigieux (les soeurs Von Hausswolff, Ben Frost, Baby Dee ou encore The Necks au grand complet), que la nouvelle formation intrigue et excite l’impatient auditeur que je suis !
Compositeur et producteur exclusif, Michael Gira ne conçoit plus Swans comme un groupe à part entière mais comme la réunion de musiciens qu’il admire et qui interviennent ponctuellement pour apporter leur contribution, au risque de perdre en unité ce qui place le disque un poil en-dessous d’un The Seer ou d’un To Be Kind.
Ainsi, on se perd en conjectures à l’écoute du morceau titre ou The Nub, est-ce The Necks qui s’essayent à l’univers Swans ou bien Gira qui leur laisse les clés du camion ? On ne saurait dire, si ce n’est que la rencontre fait des étincelles et procure deux des moments les plus intenses de ces 11 nouveaux titres (12 sur l’édition CD avec l’ajout de Some New Things).
En effet, ce léger bémol mis à part, Leaving Meaning. reste un très, très grand disque et Swans plane milles lieues au-dessus d’une concurrence, depuis bien longtemps écrabouillée. Pas à une contradiction près d’ailleurs, Swans ouvre le bal avec Hums, très court instrumental composé par les historiques du groupe avant de s’adonner, avec le splendide Annaline, aux plaisirs d’une berceuse gothique et vénéneuse dont il a le secret.
Le premier poids lourd arrive ensuite en la personne de The Hanging Man, renvoyant à The Glowing Man avec cette voix si particulière propre à vous foutre les jetons et ces boucles hypnotiques qui montent crescendo. S’ensuit, avec Amnesia, une très belle version épurée et complètement transformée d’un vieux morceau présent sur Love Of Life.
Le disque touche alors au sublime avec Sunfucker, le morceau phare du disque, morceau de dingue, enivrant, hypnotique, un drôle de drone:
Surrender, Surrender, Go Under Bright Water The Flooding Is Coming Give Up To Sunfucker The Naked, The Crawling They Become Us While Burning
Cathedrals Of Heaven, lancinant et pesant, rappelle Angels Of Light avant que The Necks ne reprennent la main sur le terrifiant The Nub suivi par un plus apaisé It’s Coming It’s Real soutenu par les chœurs d’Anna et Maria Van Hausswolff ainsi que Jennifer Gira. À l’échelle de Swans, c’est même quasiment un tube que nous offre là Gira et ses drôles de dames !
L’album d’ailleurs se fait de plus en plus accessible sur sa fin à l’image du magnifique folk What Is This ? enchanteur, comme si Gira avait mis au placard toute sa misanthropie légendaire remplacée par l’amour et l’espoir : There Is A Star In My throat In A Voice, There Is Hope.
Néanmoins, My Phantom Limb est là pour nous remettre la tête à l’envers et nous replonger dans les méandres torturées du cerveau malade et schizophrène de Swans, le plus étrange et fascinant groupe de ces 40 dernières années.
Swans n’a en effet pas d’équivalent et Leaving Meaning. en est une nouvelle et superbe démonstration. Si son approche peut paraître ardue voire terrifiante, sa découverte en mode apnée n’en deviendra que plus addictive.