2014, janvier.
– Bon les gars, c’est pas tout ça mais on n’a plus un flèche pour s’acheter du matos, va peut-être falloir qu’on songe à remettre les couverts non ?
– Rhoooo non merrrrrrrrrrrrrde, on a déjà tout fumé ? me dis pas que c’est la dernière barrette que j’entame là ?!!! les deux tonnes qu’on avait conservées depuis 1998 sont déjà finies ? Putainnnnnnnnnnnn on va faire comment ?
– Ben je viens de le dire : on remet les couverts.
– Ouais mais franchement, le public nous avait déjà oublié avant même qu’on splitte. Les critiques se foutaient de notre gueule. T’as vraiment envie de remettre ça toi ?
– Tu vois un autre moyen pour te faire du blé toi ?
– Attends, remettre le couvert, ok…pourquoi pas…mais…va falloir retrouver une maison de disque. Creation nous a viré avant la fin et on a quasiment laissé pour mort Zero Hour.
– Bon écoute, si on arrive à trouver une maison de disque, on leur demande une avance et ce sera marre. Faudra seulement qu’on pense à freiner un peu notre conso. Et puis, va savoir, si on a de nouveau du succès, on pourra peut-être renouveler le stock pour les vingt années à venir. Je commence les recherches.
– Mouais….
2014, Février , dans les bureaux de Cobraside :
– Tainnnnnnnnnnnnn chuis dans la merde. J’ai signé Swervedriver.
– Rhoooo merde, la boulette
– Je croyais que c’était See See Rider. Ils m’ont dit qu’ils voulaient se reformer, qu’ils n’avaient rien fait depuis près de vingt ans. J’ai pas tilté, j’étais raide, je leur ai dit de signer en bas de page.
– Oh putain, tu vas expliquer ça comment au boss toi ?
– Je vais lui dire que j’ai limité les dégâts en refilant la distro hors States aux losers de Cherry Red.
– Ça va être tendu mais ça devrait le faire si tu vends bien ton produit. Et que tu passes aussi sous silence le fait que t’étais raide-mort. A la limite, fais lui écouter les démos si tu en as. Sait-on jamais.
– On va essayer mais je garantis rien. Surtout que je leur ai promis une avance.
– Oh putainnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn.
Novembre 2014, bureau du boss de Cobraside :
-Bon boulot les gars, c’est clair, on tient quelque chose.
– Euhhhhhhhhhhhhh, c’est vrai boss, ça vous plaît ?
– Ouais, c’est frais, sympa, pop. Par contre c’est un peu à l’opposé de leur style non ? Je m’attendais à quelque chose de plus couillu, plus rentre dedans. Leur dernier album sorti cette année était quand même plus violent. Se sont ramollis en l’espace de quelques mois les espinguoins, là c’est limite musique de tafiole mais ça reste sympa. Avec un bon plan marketing axé sur le changement de style on devrait arriver à augmenter notre C.A sans problème. Vas-y lance la machine.
– Euhhhhhhhhhhhhhhh boss, vous devez confondre, c’est Swervedriver que vous écoutez là…
– QUOI ??? C’est pas Easy Rider ??? Tu te fous de ma gueule ? Bon, ben, rien à foutre, tu sors l’album maintenant et on oublie ça rapidement.
– On peut pas chef, on a prévu de sortir un 45 tours là et l’album début mars 2015.
– Dans ce cas, limitons les dégâts, sortez le 45 en quatre exemplaires, un pour chaque membre du groupe, ok ? Puis au niveau graphique, vous emmerdez pas, comme c’est de la musique faite avec les pieds, une pochette de pieds fera amplement l’affaire. Rien d’autre ?
– Non, chef.
Mars 2015, bureau du boss de Cobraside
– Alors on en est où avec les Zizi Jeanmeur ??
– Swervedriver ? Ça devrait aller boss.
– C’est à dire ?
– Bennnn on devrait plus entendre parler d’eux avant au moins trente ans.
– Z’êtes sur ???
– Ouiiiiii. Y a bien un ou deux critiques à avoir fait un peu de zèle mais dans l’ensemble tout le monde s’en cogne de leur retour.
– Bien. On va pouvoir passer à autre chose maintenant. Bon travail les gars.
Ce reportage vous terrifie ? Vous vous demandez si les pauvres victimes de cet odieux complot ont réussi à s’approvisionner en dope ? La révulsion vous noue les tripes ? Rassurez-vous, nous aussi. Cherchant la vérité à n’importe quel prix, bravant tous les dangers, faisant fi de toutes le menaces, les grands reporters d’Addict se sont pliés en quatre pour vous révéler ce témoignage édifiant à propos du nouveau disque de Swervedriver. Pourtant I Wasn’t Born To Lose You ne mérite pas cet anonymat dans lequel il est cantonné, loin de là. Ok, Dix-huit ans de silence, ça n’aide pas. Ok le groupe a quelques casseroles derrière lui (99th Dream, dernier album en date, quelque peu inconsistant, geignard et d’une banalité à pleurer) mais ce retour au premier plan tient presque du miracle. Parce que hormis quelques traces de gras (Red Queen Arms Race, Lone Star), l’album est un véritable rayon de soleil dans la morosité ambiante. Un plaisir simple, immédiat, pop, léger, middle of the road, un pied dans le putassier (au sens noble du terme), la facilité, l’autre dans la grâce (Autodidact illustre parfaitement cette dualité de I Wasn’t…).
Power pop façon Teenage Fanclub, Elliott Smith pas loin (Last Rites), un soupçon de psychédélisme, une larme de shoegaze (toujours Last Rites), un petit coup de Posies, Sebadoh dans le rétro (Deep Wound), les nineties partout, I Wasn’t Born To Lose You c’est un concentré talentueux de ce qui se fait de meilleur en matière d’indie rock ou de pop. Un album à l’image de sa pochette (à la cool, les doigts de pied en éventail sous un soleil radieux), des mélodies à foison, un savoir-faire indéniable, une accroche immédiate, une mélancolie tapie dans l’ombre, autant d’arguments qui font que cet album devrait être mis en avant et non passé à la trappe. Et pourtant, victime d’odieux procédés, Swervedriver risque à nouveau de retomber dans un anonymat pour le coup véritablement scandaleux. Bien sur I Wasn’t Born To Lose You fait un peu figure d’anachronisme, disque d’honnêtes artisans pop, entendu plus qu’à son tour, en décalage complet avec ce qui se fait actuellement, mais d’une honnêteté et d’une modestie contribuant à le rendre très attachant. Il n’est pas destiné à occuper les podiums de fin d’année, pas assez ambitieux ou trop à côté de la plaque pour ça, mais plutôt à être une sorte de borne, un repère, une bouée de sauvetage quand l’humeur est au plus bas et que vous avez juste de besoin d’une power pop radieuse, un peu datée certes mais redoutablement efficace. L’équivalent d’un vieil ami, avec ses qualités, ses défauts, qu’on connaît presque par cœur mais répond toujours présent quand on a besoin de lui. C’est un peu ça Swervedriver en 2015 : un vieil ami dont on ne connaît quasiment que les défauts et qui se révèle sous son meilleur jour après une absence de 18 ans. Welcome back home donc.
Sortie depuis le 3 mars dernier chez tous les bons disquaires situés en bord de plage et ailleurs (et éventuellement chez les marchands de tongs mélomanes)
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