[dropcap]A[/dropcap]près Tu (L’escarbille, 1999) et Turco (Bouclard, 2019), l’écrivain nantais Sylvain Chantal mise sur Turbo dans Fièvre de cheval, son dernier roman.
J’étais seul dans un hôtel avec une femme, cette femme savait que je trempais dans des affaires louches, j’avais la police aux fesses, et cette femme aussi. Sylvain Chantal
« La vie en général, et la mienne en particulier, m’avaient progressivement déçu. Travail peu enthousiasmant, aspirations maintes fois réprimées, échecs amoureux, le lot classique de toute personne qui dépasse la quarantaine. » C’est ainsi que se présente Anatole Bétancourt, le narrateur de Fièvre de cheval. Un qui ne croit pas vraiment en lui, ni aux autres d’ailleurs, un qui ne parvient pas à se griser, ou alors si, en buvant un peu. Et en fréquentant, parce que la porte est ouverte et qu’il y a un peu d’animation, les bar-PMU. « Dans les PMU, pas d’apparence à soigner, pas de maniérisme à adopter. » Il y retrouve une place, un inconnu parmi les inconnus, ni pire, ni meilleur. Ici, on s’offre un coup et, pour trouver quelque divertissement, on joue. Pas sa vie – quoique – mais les seuls sous qu’on gagne. On est chez les petits, les paumés, les oubliés de la vie, et la société leur offre le jeu. « Le jeu qui annihile le je » ironise le narrateur en côtoyant avec tendresse les habitués, les Madjij, Alex, Jean-Christophe, Abdelkader, Wassim…
Tel est le tableau de Fièvre de cheval. A aucun moment, on y trouvera l’espoir d’une belle rencontre, d’un peu d’amour, un brin de consolation, car tout ici est désolation. C’est l’univers que nous décrit Sylvain Chantal, le monde des turfistes au bistrot, les allées et venues au guichet, puis au comptoir, puis de nouveau au guichet puis au comptoir, avec des moments d’euphorie fugaces (on vient de gagner) et des moments de perdition (on vient de tout perdre l’argent qu’on a gagné).
Et puis, il y a l’illusion suprême, l’utopie du joueur, le sauvetage improbable : croire que l’on a trouvé une méthode infaillible pour gagner plus qu’on ne perd. Mathématiquement, statistiquement, on a le pouvoir du rationnel sur les résultats aléatoires. Anatole l’a trouvée cette méthode (bien meilleure que celle décrite jadis par Léon Zitrone dans Mon Tiercé). Il la garde jalousement, l’ébruite un peu, la partage à quelques fidèles qui ne sont fidèles que parce qu’ils savent, eux. Quand des petits truands de passage brouilleront l’esprit d’Anatole avec des combines au loto sportif.
La fin est grotesque, fidèle au héros décrit. C’est sur le champ de bataille, un vrai champ de courses cette fois-ci, que le piège se fermera. « Complicité de blanchiment d’argent, coups et blessures, six mois de prison assortis de deux cents heures de travail d’intérêt général, grosse amende, interdiction de fréquenter les champs de courses et obligation de me soigner à ma sortie de taule. » « Voilà, vous savez tout », ajoute non sans malice le narrateur anti-héros qui vient de terminer son errance et sa cavale.
Une petite musique triste
Par sa gouaille et sa truculence, Fièvre de cheval nous rappelle Tu, le premier roman de Sylvain Chantal. La folie y côtoie le réel, sans jamais savoir dans quel monde précis l’on se trouve. Monde autant de l’illusion que de la désillusion, monde du faux-savoir, du phantasme, de la déprime, de la vie souterraine plus que de la vie céleste, les petits gestes, les petites gens, les petites mesquineries. Est-on fou ? Devient-on malade, enfiévré par le monde hypnotisant des chevaux, du superficiel ? Ou, nait-on fou, simple individu, se contentant d’un quotidien où il faut manger et faire ses… courses ?
Le langage enjoué et les mots amusés (« Monter sur ses grands chevaux c’est bien, mais uniquement si on est jockey. »), Sylvain Chantal connaît. Il aime nous raconter des histoires loufoques, nous faire le portrait de personnages décalés, et nous embarquer dans la poétique des images et des sons. Pour exemple, cette longue litanie de noms des chevaux : « Défilèrent ensuite sur l’écran de télévision Catsous, Chrono Atout, Dickens du Vivier, Crazy Dream Azul, Bolide de la Cote, Bingo d’or, Bir des corvées, Avenir classique, Casanova du Corta, Duarte. »
Il y a de la drôlerie dans le roman, mais une drôlerie jaune, tant le misérable semble happer le héros et tous les protagonistes. La petite musique triste de Sylvain Chantal, elle est faite d’un langage mis en dérision (on lira avec délectation tous les passages sur le subjonctif imparfait), d’un héros pitoyable et d’une histoire on ne peut plus désolante. Le terrain hippique est lourd, l’errance d’Anatole s’embourbe, et ce ne sont pas les 1200 euros empochés grâce à Turbo qui pourront nous réconcilier avec le jeu. Seul le pari (épique…) du roman chez les turfistes est gagnant.
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Fièvre de cheval de Sylvain Chantal
Le Dilettante, mai 2021
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