[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap] l’heure de la sortie de “Here”, son onzième album, Teenage Fanclub continue de diviser. Certains semblent regretter une période bénie, en gros des débuts jusqu’à “Songs For Northern Britain”. D’autres, sans doute plus patients, continuent de chérir ce groupe dont les derniers albums demandent un effort d’écoute plus important pour dévoiler toutes leurs richesses. La raison de ce manque d’immédiateté que leur reprochent certains fans nous est expliquée par Gerard Love dans cet entretien. Il revient également pour nous sur la création du groupe et son évolution aussi bien humaine que musicale depuis maintenant vingt sept ans. Au regard de la qualité de “Here”, nous sommes prêts à nous plier au rythme de travail de Teenage Fanclub et à attendre encore six longues années pour leur prochaine livraison.
Au début du groupe, vous étiez forcément influencés par la musique indépendante de l’époque, locale ou pas, mais est-ce également votre passion pour Love, les Byrds ou d’autres groupes 60’s qui vous a rapprochés et donné envie de monter un groupe ?
Pas vraiment non. Teenage Fanclub est né des cendres d’un groupe qui s’appelait The Boy Hairdressers dans lequel figuraient déjà Norman Blake et Raymond McGinley. Mais aussi Francis McDonald qui joue avec nous depuis 2000. Norman et Raymond voulaient enregistrer ensemble des chansons qui n’avaient pas été retenues pour The Boy Hairdressers. On en retrouve sept ou huit sur “A Catholic Education” le premier album de Teenage Fanclub. C’est l’amour de Norman et Raymond pour le Velvet Underground, Love ou bien Buffalo Springfield qui est à la base des deux groupes. C’est ce qui s’écoutait dans le milieu underground à Glasgow dans le milieu des 80’s.
Au début du groupe, vous alliez en studio sans enregistrer de démos. Est-ce toujours le cas ?
Nous n’en enregistrons toujours pas. A l’époque Norman et Raymond voulaient bousculer les règles proposer des chansons déjà enregistrées et prêtes à sortir comme carte de visite pour démarcher un label. C’était plutôt inhabituel pour moi. J’étais habitué à envoyer des cassettes et à attendre un coup de fil du directeur artistique. Mais Norman et Raymond étaient hyper déterminés à l’époque et ça a payé.
Y a t-il une part d’appréhension concernant le retour de votre alchimie avant de rejouer ensemble ? Car vous vous retrouvez en moyenne tous les cinq ans et chacun des membres du groupe a forcément évolué pendant cette période ?
Déjà, nous ne nous fixons pas de date pour nous remettre au travail pour Teenage Fanclub. On se retrouve quand nous en avons envie tous les trois. Nous nous connaissons depuis tellement longtemps que nous savons instinctivement quand il est temps de se pencher sur un nouvel album. Il n’y a pas d’appréhension car musicalement nous avons toujours ressenti une relation particulière entre nous. Il y a également un très grand respect de nos vies sociales respectives. Au début du groupe nous étions toujours collés ensemble. Nous savions tout sur la vie personnelle des autres membres. Du temps s’est écoulé depuis, et si nous nous fréquentons moins socialement, il y a toujours un énorme respect de la vie des autres membres. Et je trouve que moins se voir nous permet d’être encore plus soudés musicalement car nos chansons sont devenues le seul lien qui nous unit vraiment. Notre musique s’est épanouie les années passant. Il nous faut très peu de temps pour nous reconnecter à notre univers. Nous ressentons aujourd’hui la même alchimie qu’à nos débuts musicalement.
Depuis cinq albums, chacun d’entre vous publie quatre chansons par disque. Au regard de cette alchimie dont tu parles à quel point celles-ci évoluent-elles lorsque vous les jouez ensemble pour les premières fois ?
Ca dépend vraiment de qui compose. Raymond par exemple nous laisse toujours beaucoup de place pour que l’on apporte nos touches personnelles. Norman et moi même préférons travailler individuellement, nos chansons sont déjà bien avancées lorsque nous les présentons au reste du groupe. Je joue de la basse, ce qui n’est pas évident pour influencer la texture d’un enregistrement. Lorsque je compose une ligne de basse, je dois apporter mes idées de guitares et de synthés pour ajouter de la couleur à mes ébauches. Mes titres évoluent ensuite lorsque nous jouons tous les trois, mais c’est moi qui insuffle les directions à prendre. Norman, c’est encore différent, il a souvent déjà testé ses chansons et les versions qu’il nous propose sonnent quasiment comme celles que tu trouves sur nos album. Il n’y a plus grand chose à ajouter car tout est déjà rodé et fluide.
Vous êtes trois à composer, mais pourtant, vous apparaissez avec Francis McDonald et Dave McGowan sur les photos de promotions. Ont-ils eu un apport lors des répétitions ou de l’enregistrement de “Here” ?
Ils sont présents à différents moments des sessions. Nous avons enregistré les backing tracks (basses et batterie) dans un studio en Provence tous ensemble. Francis, notre batteur était avec nous. Nous ne l’avons ensuite plus revu avant d’apporter les touches finales à l’album. Dave jouant de la guitare et du synthé est forcément plus impliqué. Il a été présent lors de la deuxième session à Glasgow jusqu’à la fin de l’enregistrement. Si Dave est beaucoup plus inclus dans le process, c’est uniquement lié aux instruments qu’il joue.
A la limite je trouve que vos derniers albums donnent l’impression que le groupe prends un réel plaisir à jouer ensemble, que vous laissez encore plus parler votre amour d’un songwriting de qualité. Qu’en penses-tu ?
Nous sommes portés par cette idée d’écrire des chansons de qualité autant qu’à nos débuts. Nous avons toujours cette soif d’essayer de créer quelque chose que nous n’avions jamais exploré pour exprimer nos idées. Dès la fin des années 80 nous voulions que nos chansons vieillissent bien. Prendre de l’âge nous a fait du bien. Non seulement parce que nous sommes de meilleurs musiciens, mais aussi parce que nous savons trouver le meilleur moyen d’exprimer nos idées de par notre expérience. Tu sens que nos premiers albums sont plus remplis d’énergie que de savoir. Non pas que ce soit négatif. Manquer de savoir t’apporte une naïveté qui donne parfois naissance à de meilleures idées que lorsque tu as accumulées trop de savoir. C’est pour ça que l’énergie qui vient du rock’roll fonctionne mieux quand elle est véhiculée par des gamins. Tu perds une part de cette vitalité en vieillissant. Les tournées sont fatigantes, tout devient prévisible. Mais en tant que musicien, et je pense que c’est pareil pour les autres membres du groupe, la base de mon travail est d’écrire de belles chansons. Le reste est secondaire.
“Here” sonne merveilleusement car nous avons l’impression que vous composez sans trop forcer le trait. C’est pour moi ce qui paraît le plus difficile à réaliser car cela nécessite souvent beaucoup d’efforts. Qu’en penses-tu ?
Je suis entièrement d’accord et c’est la raison pour laquelle nous avons pris autant de temps pour l’enregistrement de “Here”. Si nous avions travaillé avec un producteur, certaines chansons auraient peut être eu une sonnées plus efficaces, mais nous n’aurions pas pu explorer autant de pistes. Avoir une personne extérieure au groupe te rend parfois un peu timide. Au détriment de tes chansons. Nous sommes conscients que le fait d’enregistrer et de produire nos albums nous mêmes pourrait déplaire à certains audiophiles comparant nos albums récents à ceux enregistrés avec des producteurs. Mais au moins nous ne subissons aucune pression et nous pouvons aller jusqu’au bout de nos idées. Même si cela demande du temps. Nous avons par exemple eu la chance de travailler sur “Songs For Northern Britain” avec Dave Bianco, un super producteur et ingénieur du son basé à Hollywood. Mais nous ne sommes pas allés jusqu’au bout de nos idées par manque de temps. C’est aussi lié au fait que nous étions signés par une maison de disque à l’époque. Maintenant, nous sortons tout sur notre propre structure, PeMa.
On parle autant de la qualité des harmonies vocales que de la musique quand on évoque Teenage Fanclub. Lequel vous demande le plus d’effort ?
Rien de ce que tu as mentionné. C’est l’écriture des paroles qui nous prend le plus de temps. On prend un plaisir énorme à travailler sur les harmonies. Elles se suggèrent souvent d’elles mêmes. Idem pour les mélodies et les arrangements. Il nous est aisé de faire évoluer et progresser un morceau. Nous pouvons constater une évolution, ça rend le travail agréable. Par contre chacun de nous lutte pour les textes. C’est systématiquement une cause de stress. Ce n’est pas évident d’arriver à finaliser un texte susceptible d’être suffisamment bon pour qu’il parle à quelqu’un extérieur au groupe.
Les paroles de “Here” sont les plus sombres que l’on puisse retrouver sur un album de Teenage Fanclub. En vieillissant vous sentez-vous de plus en plus désabusés par le monde qui vous entoure ?
Je pense que c’est naturel pour des gens qui, comme nous, arrivent en fin de quarantaine et début de cinquantaine. C’est simplement de la maturité. Notre compréhension du monde est meilleure. Je ne définirais pourtant pas les paroles de “Here” comme pessimistes. Étant plus engagé et plus conscient de ce qui se passe autour de nous, il y a forcément des éléments pas très joyeux qui nous inspirent pour nos paroles. Pourtant, même si ce n’était pas à cette échelle, nos paroles ont souvent été mélancoliques par le passé.
Merci à Thomas Rousseau
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