[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]O[/mks_dropcap]n ne peut accuser Stephen Malkmus d’avoir vécu sur ses acquis depuis la séparation de Pavement. Au cours de sa longue carrière en solitaire, il a continué à évoluer et expérimenter. Il sort aujourd’hui avec The Jicks son septième album, Sparkle Hard. S’il nous confie dans cet entretien être pour la première fois empli de doutes, Sparkle Hard se place parmi les meilleurs enregistrements de l’Américain. Évitant certaines lourdeurs présentes dans son travail le plus récent, Malkmus et ses Jicks vont à l’essentiel. Rencontré dans les locaux de sa maison de disque, Stephen Malkmus nous parle avec flegme de sa passion pour The Fall, de Berlin, d’un album très expérimental qu’on lui conseille de ne pas publier et d’auto tune.
Mark E Smith est décédé en début d’année. Si tu étais un grand fan de son travail, il n’a pas toujours été tendre avec Pavement. Il vous a accusé d’être une copie circa 1985 de son groupe. Es-tu resté fan de son travail jusqu’aux derniers albums ?
Des albums comme Grotesque, Dragnet ou Hex Enduction Hour ont changé ma vision de la musique. J’ai arrêté de suivre le groupe après The Frenz Experiment. The Fall est devenu moins intéressant, mais je suis surtout passé à autre chose. Malheureusement, les gens font pareil avec ma musique. Au bout d’un moment, ils ne suivent plus ma carrière.
Tu as habité à Berlin quelques années. Artistiquement et humainement, qu’as-tu retiré de cette période ?
C’est une période pendant laquelle je n’ai pas été très actif dans ma carrière. Je n’avais pas de réel endroit pour travailler correctement. J’étais dans une période où je ne me suis pas vraiment bousculé pour être créatif. Je restais à la maison, j’écrivais parfois des chansons. Il m’arrivait de sortir pour aller dans des clubs ou d’assister à des concerts quand des amis jouaient en ville. C’était un break indispensable qui a permis à ma femme (l’artiste Jessica Jackson Hutchins ndlr) de prendre son envol artistiquement. L’heure était venue pour elle d’être la rock star. J’ai apprécié les deux années passées à Berlin. Je suis toujours excité d’y retourner. J’adore me perdre dans ses quartiers et y découvrir les choses les plus étranges du monde.
Kim Gordon est au générique de ce nouvel album. Je me souviens d’un concert aux Transmusicales où Pavement partageait l’affiche avec Sonic Youth. Vous aviez d’ailleurs envahi la scène à la fin de leur concert. Avez-vous gardé un lien d’amitié depuis cette période et pourquoi l’avoir invité sur Sparkle Hard ?
Ce choix s’est imposé à l’écoute de la première version du titre Refute. Il manquait une voix supplémentaire pour rendre le morceau intéressant. J’ai initialement demandé à Lorde. Je lui ai rendu beaucoup de services par le passé. Je ne dirai pas lesquels. Elle n’a pas répondu à mon email. Elle a peut être changé d’adresse, je préfère ne pas spéculer…. Je n’ai pas voulu contacter son management pour relancer. Ils ne pensent qu’à l’argent et je n’en ai pas. Mon deuxième choix était Kim Gordon. Nous nous connaissons depuis longtemps et elle habite à Los Angeles, comme moi. Une ironie se dégage des paroles de Refute. Ça rendait l’expérience intéressante en collant à la personnalité de Kim.
Vous êtes tous les deux des amateurs d’art au sens large. Tu as figuré dans une des expositions de Kim, Twitter Paintings.
C’est une sacrée histoire. Elle reprenait des tweets en peignant les textes de ceux-ci sur des toiles. Pendant longtemps, il y a eu un Stephen Malkmus sur Twitter qui se faisait passer pour moi. Les propos qui figurent sur son tableau ne sont pas les miens. J’ai dû me rapprocher de Twitter pour que ce faux profil ferme.
Sonic Youth avait pris Pavement sous son aile à vos débuts. Est-ce quelque chose que tu as fait par la suite avec des groupes ?
Nous avons en moyenne 250 000 $ de budget pour les premières parties pour une tournée de Stephen Malkmus & The Jicks aux États-Unis. Ça limite les choix possibles. Ce ne peut être que des groupes qui débutent ou ont besoin d’exposition. Nous choisissons nous-mêmes les artistes qui nous accompagnent. Nous devons à la fois aimer leur travail, mais aussi penser à la réaction du public des Jicks. Garder une cohérence est important.
La difficulté de se renouveler pour Sparkle Hard a été évoquée. Dirais-tu que, artistiquement, son accouchement a été difficile ?
J’ai eu des albums plus difficiles à composer par le passé. Pour la première fois, j’ai enregistré un album dans la ville où j’habite. Le studio était agréable. J’étais entouré de gens avec qui la communication passait. Tout le monde était enthousiaste. Pas l’enthousiasme de gens sous cocaïne comme par le passé. Un enthousiasme plus réservé, propre aux personnes atteignant un certain âge (rires). Par contre, le mixage a été compliqué. Tout devient plus lent et compliqué en vieillissant. J’ai plus de doutes et d’exigences. C’est nouveau pour moi.
Avec ce nouvel état d’esprit, considères-tu l’opinion des journalistes importante pour juger ton travail ?
Oui. Je travaille dur pour que mon travail soit compris de la bonne façon. J’ai parfois l’impression de m’exprimer dans un langage inconnu de tous. Je ne cherche pas à ce que tout le monde m’aime, ni à orienter mon travail pour qu’il plaise au plus grand nombre. Si on ne comprend pas là où je veux en venir ou si je suis ignoré, ça m’affecte. Je suis chanceux. Certains artistes produisent des œuvres incroyables et sont injustement ignorés.
Y a t-il des expérimentations avec lesquelles tu es allé assez loin qui ne figurent pas sur l’album ?
(Long silence) C’est étrange que tu me poses cette question. J’ai sous le bras un album compagnon que je souhaitais sortir avant ou en même temps que Sparkle Hard. On m’a conseillé d’attendre pour ne pas rendre les gens confus. Les dirigeants du label estiment qu’il est plus intelligent pour ma carrière de sortir Sparkle Hard en premier. J’ai entendu de sacrés prétextes. A vrai dire, ils avaient l’air effrayés (rire). Il y a des morceaux complètement dingues (son visage s’illumine). Je vais sortir ce disque, ça ne me fait pas peur. C’est un super album. Je trouve qu’il sonne bien. On va juste attendre d’être dans le bon contexte.
L’album a été composé entre 2015 et 2017. Par contre, tu as enregistré les démos en une journée. Cherchais-tu à capturer une immédiateté que tu voulais reproduire pour l’album ?
Oui, mais juste pour les maquettes. Nous avons ensuite tout laissé reposer. Nous avons répété deux mois plus tard pour que tout soit au point avant d’entrer en studio. Tout est très organisé au sein des Jicks. Un seul titre a été légèrement improvisé. Difficulties/Let Them Eat Vowels qui clôture l’album et sonne un peu comme une jam session. La seule spontanéité présente dans Sparkle Hard vient des solos de guitare et de l’utilisation de l’auto tune.
Comment fonctionnes-tu avec The Jicks. Es-tu ouvert aux suggestions ?
Rarement, mais je ne suis pas fermé non plus. J’avais deux démos complètement différentes pour Cast Off qui ouvre l’album. Nous avons travaillé à partir de la première, très lente, qui me satisfaisait. Joanna Bolme, notre bassiste, n’était pas convaincue. Elle a ressorti la deuxième démo et a insisté pour qu’on la travaille. Elle avait raison. Idem pour le premier single de l’album, Middle America, qui ne devait pas figurer sur l’album. Pour moi, il sonnait trop Pavement, trop facile. Tout le monde autour de moi y voyait un single potentiel. La démocratie l’a emporté, j’ai cédé.
Comment t’es-tu retrouvé à utiliser de l’auto tune sur Rattle ? As-tu aimé son utilisation dans certains albums alternatifs récents, comme celui de Lambchop ?
C’est plutôt lié à des albums de Future, Drake ou Kanye West que j’écoute beaucoup. J’avais acheté pas mal d’équipements électroniques et j’ai voulu en tester toutes les possibilités. Rien n’était planifié. Je m’amusais avec les préréglages qui allaient du son à la Bob Dylan à l’auto tune. Je trouvais que ça se mélangeait bien au côté science fiction de Rattle. Je n’allais tout de même pas créer une chanson RnB pour utiliser l’auto tune (rire).