[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]T[/mks_dropcap]he Horrors sont de retour avec V, leur nouvel album aux sonorités plus électroniques. Le groupe a réussi à nous surprendre sur ses trois premiers albums. Changeant systématiquement de direction, les vampires de Hoxton se sont imposés progressivement comme une formation majeure, alliant succès artistique et public. Leur dernier album en date, Luminous, s’est même classé dans le top 10 au Royaume-Uni. Pourtant, pour la première fois, le groupe donnait l’impression de tomber dans facilité.
V vient remettre les pendules à l’heure. Passant du dépouillement total à la domination des machines, il déstabilisera dans un premier temps avant de dévoiler toutes ses subtilités.
Nous avons rencontré les deux têtes chercheuses du groupe, Rhys Webb et Faris Badwan dans la cour d’un hôtel Parisien. Épuisés après une journée de promo, il se sont livrés sans fard sur les difficultés rencontrées pour rester créatifs, la nécessité de sortir de leur routine en faisant appel à un collaborateur extérieur, et leur expérience réussie en première partie de la tournée de Depeche Mode.
L’ascension du groupe a été progressive jusqu’à Luminous en 2014. L’album s’est classé dans le top 10 en Angleterre. Vous êtes-vous demandés comment lui donner une suite ?
Rhys Webb : Nous étions conscients d’avoir atteint la fin d’un cycle. Nous avions beau avoir expérimenté et exploré différentes pistes par le passé, il était temps de changer radicalement et de se lancer un nouveau défi.
Faris Badwan : Nous possédons notre propre studio d’enregistrement. Après sept années passées à y travailler en permanence, nous devenions claustrophobes. Même si nous n’en avons pas parlé entre nous, il était évident qu’une nouvelle direction allait s’imposer à nous.
Cette claustrophobie est-elle également la raison pour laquelle il s’est écoulé trois ans avant la sortie de V ?
Faris : Nous avons tourné un an pour la promotion de Luminous. Cela n’explique pas tout. Chaque titre de V a été travaillé à l’extrême avant de trouver la bonne approche. Il existe une quantité impressionnante de pistes de travail, souvent abandonnées car nous ne sonnions pas comme un groupe soudé.
Rhys : Trouver un nouveau son et une nouvelle cohérence ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut y aller étape par étape. The Horrors comprend cinq membres. Si un seul d’entre nous ne prend pas de plaisir à jouer un nouveau morceau, nous continuons à travailler. Si je devais revenir en arrière, je pense qu’un peu de vacances nous auraient fait du bien avant de nous remettre au travail.
Faris : Nous avons sorti cinq albums en dix ans. Aucun ne sonne comme le précédent. Cela demande beaucoup d’investissement.
Des tensions ont dû se faire sentir !?
Faris : Oui, ce n’est pas toujours simple à gérer. En temps normal, Rhys et moi composons ensemble et donnons les grandes directions. Cette fois, les autres membres ont montré plus d’enthousiasme. Tout le monde s’est investi. C’est pourquoi V est notre album le plus varié à ce jour.
Rhys : Les sessions d’écriture ont été les plus prolifiques de notre carrière. Nous avons dû composer pas loin de trente morceaux. Seulement deux ou trois titres sonnent identiques dans le lot.
Faris : L’album est cohérent malgré cette diversité, car les chansons tiennent la route. Chaque titre est accessible et mélodique.
Vous espériez sortir l’album avant la fin 2015. Je comprends maintenant pourquoi vous avez dépassé la deadline !
(Éclat de rire général)
Faris : Nous sommes des optimistes. Il y avait de quoi sortir un album à l’époque. Mais nous avons continué à composer. De nouvelles pistes, plus excitantes, se sont offertes à nous. V est bien meilleur que ce qui aurait pu être publié en 2015.
Rhys : L’énergie dépensée à composer et la spontanéité ont payé. On retrouve une fraîcheur dans V qu’il n’y a pas sur nos autres disques. L’enregistrement s’est étalé épisodiquement de septembre 2016 à janvier de cette année. Nous n’y avons pas consacré tant de temps que ça.
Au moment de vous mettre au travail sur un nouvel album, faites-vous un point sur où vous en êtes musicalement ? Parlez vous de vos disques favoris du moment ?
Faris : Nous n’en avons pas besoin. Même lorsque The Horrors est en pause, nous passons beaucoup de temps ensemble. Nous sommes un gang. Nous connaissons tout de la vie de chacun. De toute façon, nous n’avons jamais été aussi organisés que ça. Notre processus est plus organique.
Le titre d’ouverture, Hologram, témoigne du changement de son radical dont vous parlez. Il crée un effet de surprise. Le côté fluide de l’album, malgré sa diversité, laisse entendre que vous devez sélectionner l’ordre des morceaux avec une grande attention.
Faris : C’est primordial. Nous y consacrons beaucoup de temps. On souhaite que les gens perçoivent le disque comme nous l’entendons. Pour V, nous voulions qu’une sensation de puissance traverse l’écoute.
Tu parles de puissance, pourtant Gathering s’inscrit à l’opposé. C’est un titre acoustique, le plus dépouillé de votre carrière. Il n’y a même aucun effet sur la voix de Faris.
Faris : (Visiblement touché) Je l’ai composé à la guitare acoustique.
Rhys : L’idée de l’enregistrer simplement nous est apparue comme un challenge pouvant nous mener vers une direction jamais empruntée.
Faris : La simplicité de Gathering permet de rentrer rapidement dans le titre. J’aime son côté intime.
Vous avez recruté Paul Epworth (Adele, Rhianna, Coldplay, Paul McCartney) à la production. Vous aviez autoproduit vos albums précédents. Pourquoi avoir fait appel à lui ?
Faris : Nous sommes allés à l’opposé de ce que nous recherchions pour les albums précédents : quelqu’un capable d’influer sur le son de l’album.
Rhys : Il nous a dynamisés et inspirés. Après autant d’années passées tous ensemble nous en avions besoin. Si notre enthousiasme envers le groupe et l’envie de créer ne se sont jamais estompés, nous avions besoin de quelqu’un qui nous empêche de tout analyser à l’extrême. Il a réussi à nous sortir de notre zone de confort. Ça nous a aussi fait un bien fou de nous retrouver dans un cadre différent, avec des ingénieurs du son. Ne plus être livré à 100% à nous même a été bénéfique.
Machine est un titre radical soniquement parlant. Êtes-vous attiré par la musique au croisement de l’électronique et de l’industriel ? Quels sont les artistes que vous considérez comme les plus radicaux que vous appréciez ?
Faris : Nous voulions un titre puissant, lourd et sauvage. C’est un sentiment qui manquait dans nos disques depuis quelques temps. C’est plus à la limite du punk que de l’industriel je trouve. C’est ce sentiment qui nous a animés, pas l’influence d’un autre groupe. En citer un serait te mentir.
Rhys : Nous écoutons tous de la musique industrielle, ce n’est pas le soucis. Machine est le résultat d’un travail sur une mécanique particulière.
Quelle est l’idée cachée derrière la pochette de l’album ? C’est un visuel très fort.
Rhys : C’est une sorte de monstre à cinq têtes. Il représente pour moi l’image du groupe. Elles partent dans des directions différentes mais sont pourtant reliées au même support. Tu en enlèves une, et le groupe n’existe plus.
Faris : La typo est un mélange de Chinois et de Japonais pour apporter une vision futuriste. J’aime l’idée d’emprunter à différentes cultures. C’est comme regarder la photo d’une rue commerçante de Tokyo. Un bombardement de couleurs et de formes et d’informations. Les chansons parlent d’une réalité distordue. La pochette va dans ce sens.
Vous affichez depuis peu une conscience politique. Vous incitez vos fans à voter, vous contestez la spéculation immobilière de Londres. Est-ce important pour vous de profiter de votre statut pour véhiculer des messages ?
Faris : Tous les membres du groupe sont devenus plus conscients et engagés politiquement. Londres change, ça nous inquiète. Je ne vais pas me lancer sur les événements récents qui ont bouleversé notre pays. Nous mettons un point d’honneur à ce que notre musique reste apolitique. Par contre, rien ne nous empêche de faire passer des messages sur les réseaux sociaux.
Rhys : Le futur nous fait peur. À notre petit niveau, nous voulons nous impliquer plutôt que de constater.
Vous avez récemment ouvert pour la tournée de Depeche Mode. Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?
Faris : À notre grande surprise, nous avons apprécié cette expérience. L’entourage de Depeche Mode nous avait prévenu que c’était un des groupes pour lesquels il est le plus difficile d’assurer la première partie. Pourtant le public a été réceptif et enthousiaste. Jouer devant 70 000 personnes chaque soir, et recevoir un tel retour nous a poussé à donner le meilleur de nous-mêmes. Les concerts étaient excellents.
Les titres du nouvel album sont à la base fortement susceptibles de plaire aux fans de Depeche Mode.
Rhys : Sans doute. Pourtant, nous n’en avons joué aucun. Ces concerts étaient l’occasion de nous amuser tout en clôturant un chapitre de l’histoire du groupe. Le premier single est sorti depuis cette tournée. Il est temps de passer à autre chose.
Crédit photos : Dominic Louth et Jasmin Ludolf
Merci à Florian Leroy