[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]T[/mks_dropcap]oi lecteur qui cherche la chanson éternelle en dehors des lois du temps, au-delà des contingences des modes, souvent tu reviens bredouille de tes quêtes. Tout cela te semble bien vain en ces heures incertaines où l’art ressemble à un vilain marché avec ses lois de production et de rentabilité. Heureusement, oui, heureusement, il existe encore quelques valeureuses personnes qui continuent de besogner dans l’ombre de pièces mal chauffées, avec au dehors la pluie qui claque contre la fenêtre. Quelqu’un qui dit s’inspirer d’enregistrements des années 50 avec des artistes comme Edhen Abhez auteur du superbe Eden’s Island, Buddy Fo, Martin Denny ou Vittorio Impiglia ne peut qu’être une personne hautement estimable. Alexi Erenkov et sa femme Alison Alderdice qui se cachent derrière le projet The Saxophones résument ainsi le début de leur travail ensemble. Retourner à cette énergie première d’avant le cynisme et la posture.
C’est un peu comme Si Luna (Dean Wareham et Britta Phillips) délaissaient leur tropisme pour le Velvet Underground et s’intéressaient plutôt aux lately sixties. C’est un peu comme si Stuart A Staples oubliait Al Green pour une torpeur plus blanche. Les arrangements soyeux chez The Saxophones sont volontiers désuets sans être pour autant « Vintage » (quel vilain mot). On pensera souvent à Mickey Newbury mais avec cette petite part d’exotisme supplémentaire si typique d’une école californienne des années 60. Time is like a river pourrait sortir d’une session d’enregistrement d’Harlequin Melodies. Ces chansons des Saxophones hésitent entre ballades country et ballades neurasthéniques.
Ami lecteur, tu trouveras quelques consolations plus que précieuses à l’écoute de Picture ou du désarmant Aloha. Alexi Erenkov deviendra le nouveau héros des cœurs éperdus, ceux qui ne savent même pas pourquoi ils pleurent sous la pluie battante qui cache leur pudeur intacte. Il y a chez The Saxophones cette nonchalance que l’on retrouve chez Paul Weller, cette détente de l’âme qui pose les choses paisiblement sans distance ni calcul. Pourtant un pas de côté pourrait les faire tomber du mauvais côté, celui du mièvre, un autre pas mal maîtrisé les ferait trébucher dans l’insipide. C’est donc à un jeu dangereux que jouent les deux américains qui rappellera parfois les meilleurs moments de Chris Isaak. Il n’y a guère que Timber Timbre pour ressusciter ces Amériques d’un autre âge, cet American dream, celui d’un âge d’or révolu.
The Saxophones poursuit un rêve, du moins ses ombres, ses vestiges dans les ruines fumantes.
Quand on croit avoir saisi Alexi Erenkov, c’est là qu’il se dérobe. Just Give Up par exemple qui nous transporte dans un jazz West Coast des années 50, une description d’une fêlure qui grandit toujours plus. L’arrivée des cuivres à cet instant-là est plus que bienvenue et restera en arrière-plan comme pour donner plus d’espace à l’ensemble.
Alone again ressemble à un Van Morrison décharné et épuré quand Work Music louvoie entre indices rétros et clins d’œil futuristes. Il y a dans Mysteries Revealed autant de cet espièglerie héritée de Jonathan Richman que dans les disques d’Herman Dune ou de Stanley Brinks. On est toujours entre le sourire et la larme que l’on ravale.
Songs of est un disque lettré, cultivé, de quelqu’un qui se coltine ses références mais en tire ce qu’il a en lui, quelqu’un qui utiliserait ses références comme une sorte de tremplin, de stimulant. Un terreau fertile dans lequel on creuse et on fait pousser ses propres germes.
« Je ferme les yeux, puis je dérive dans la nuit magique
je te le chuchote
une prière silencieuse
comme seuls savent le faire les rêveurs »
(Roy Orbison)
Chez The Saxophones, on ne court pas après l’authenticité d’un son, après la reproduction de tel riff de guitare, de telle inflexion dans la voix. La quête est sans doute d’abord existentielle dans le sens de vital, Alexi Erenkov et sa femme Alison Alderdice y chantent comme pour mieux se révéler. D’ailleurs dans le communiqué de presse qui accompagne le disque, on prête au leader de The Saxophones ces propos-là :
« Le facteur le plus important dans le choix d’un groupe est l’amour« .
C’est sans doute de ce précepte faisant usage de loi que provient cette impression diffuse de plénitude au milieu de ces mélodies chargées de spleen. On n’oubliera pas de mettre en avant la voix superbe d’Alexi Erenkov, pour preuve Find I Forget.
Se plonger dans un disque de The Saxophones, c’est rejoindre les âges d’or, les années flamboyantes, les temps d’espoir et les grands ouest mythiques. C’est ré entendre le chant du premier oiseau du matin, c’est ressentir la nouveauté intacte de la première caresse. C’est surtout et avant tout une invitation qui ne se refuse pas, une proposition irrésistible.
Thank you!