[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J[/mks_dropcap]e vais être honnête avec vous. Au départ, l’annonce d’un nouvel album de Tricky ne m’a pas enthousiasmé au point de me positionner dare-dare pour une énième chronique dithyrambique dans vos colonnes préférées. Non, il y avait d’autres sorties en cette fin de Janvier 2016 qui me semblaient bien plus pertinentes. Seulement voilà, ma curiosité vis-à-vis du personnage n’avait pas besoin d’être titillée des masses pour me pencher un peu plus sur son nouveau projet Skilled Mechanics.
Après avoir entendu un rap chinois dont l’invitation au voyage m’avait laissé sur le quai d’embarquement (Beijing to Berlin), je me préparai plus ou moins à mixer mon encre dans le vitriol. Le risque était alors de passer pour un type blasé tout juste habile à entretenir une image de piètre vilipendeur. Oui, c’est clinquant question posture rebelle mais après réflexion, je préférai zapper l’affaire en me terrant dans le silence plutôt que de démolir sans plus d’écoute celui que j’avais jadis encensé.
Le hic c’est qu’une fois occulté les quelques bémols habituels, l’ensemble du douzième album studio de Tricky est plus que convaincant. Il me fallait donc sortir de ma réserve et vous donner l’envie de courir chez votre disquaire préféré afin de participer à une sympathique chasse au trésor. Revenant pour ma part bredouille de la galerie des labels indépendants, je trouvai finalement la pochette tribale du coté des musiques électroniques. Preuve que question rangement, il n’est pas aisé d’appréhender l’œuvre qui se présente.
Certes, les fans de la première heure qui auront abandonné en cours de route la collection discographique de l’anglais ne seront pas forcément plus convaincus par mon éternel et sans doute impartial engouement. Pas plus attisé qu’ils le furent lors de ma dernière sortie flamboyante à son égard ici-même. Le disque mérite pourtant toute notre attention car derrière le minimalisme des formes c’est tout un entêtement à raccourcir les branches qui dépassent, à mettre en avant des artistes pas forcément « bankables » mais tout aussi talentueux que méconnus du grand public, à diluer encore les sons pour qu’ils rentrent coûte que coûte dans nos esprits – quitte à donner l’impression de quelques redites.
En 1999, Adrian Thaws se liait au duo Dj Muggs + Grease pour Juxtapose, disque qui reste à ce jour sa production la plus travaillée sur les confluences du hip hop et de la pop. Dix-sept ans plus tard, c’est une nouvelle paire qui vient lui prêter main forte. Le premier larron c’est Dj Milo, vieux compagnon de jeux et ancien adepte de la fameuse (fumeuse ?) Wild Bunch, sound-system qui fut la genèse du mouvement baptisé « trip-hop ». Le second c’est Luke Harris, batteur en titre de Tricky et qui se voit découvrir au surplus par son boss une empreinte vocale délicate et fragile. A eux trois et bien aidés de collaborations ad hoc, ils survolent au dessus de ce qui reste le plus marquant des productions labellisées par le sceau de False Idols : Une liberté de point de vue, un affranchissement au risque de se détourner des modes et donc des ventes dans les bacs.
Ce qui contamine une nouvelle fois la nouvelle galette, c’est cet éclectisme dans le choix des compositions. Ceci n’est pas nouveau chez Tricky mais à force de persévérer dans cette direction, l’idée est devenue sa marque de fabrique. La grande classe réside alors dans la cohérence du patchwork.
Avec Skilled Mechanics, Tricky vient piller Eminem (Hero) ou d’autres idoles comme The Cure sur les nappes synthétiques de Well. Amusons nous alors de voir floqué dans les crédits l’auto-sample de Silly Games (cette fois-ci pas de risque de procès en droits d’auteurs) … Skilled Mechanics comprend aussi deux reprises : Diving Away remet au goût du jour Porno For Pyros tandis que nous découvrons avec Bother une étonnante cover mélodique d’un titre composé par Corey Taylor, chanteur masqué de Slipknot. Il faut un sacré talent de dénicheur pour aller débusquer pareilles trouvailles !
Bis repetita… de l’inimitable flow asthmatique aux gravitations binaires sensuelles, la patte Tricky se renouvelle sans grande révolution mais avec une application artisanale de plus en plus remarquable. Forcément derrière les effusions vocales se cachent les troubles de l’enfance (Boy) mais c’est surtout cet effacement discret qui nous fend désormais le cœur car en tendant l’oreille c’est le décor tout entier qui vient alors comme une évidence rabâchée.
Tricky n’est pas une star, juste ce petit génie du bidouillage qui en grandissant dans la fusion des genres aura récolté cette facilité à semer de manière décomplexée de plantureuses vibrations. A force de triturer dans tous les sens les codes, il est devenu cet artiste qui peut se permettre la simplicité renversante. Deux accords répétés, un embryon de pulsations R&B dépourvu de vocodeur, la voix de Francesca Belmonte ou une autre muse pour la touche finale. La recette est simple mais elle a fait ses preuves.
Skilled Mechanics n’est qu’une nouvelle pierre angulaire sur laquelle il sera encore grand temps de poser une nouvelle roche. Sans être devin, je devine sans trop attendre une treizième toute aussi bien taillée.
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