On ne peut nier les nombreuses qualités de Timbuktu, au premier rang desquelles on saluera le travail sur la photographie. Captant avec grâce la lumière si singulière d’un pays ocre, aride, portraitiste hors pair, Abderrahmane Sissako habille sa fable noire d’une robe solaire. Difficile d’oublier ces visages de femme, dignes dans l’adversité, et la paix d’une famille sous une tente qu’elle croit, un temps à l’abri de la folie des hommes. Là tout n’est que paix, calme et sérénité.
A la ville, la milice islamiste instaure son code déviant. Gants et chaussettes pour les femmes, interdiction de la musique. Sissako choisit, et c’est tout à son honneur, de ne pas verser dans le pathos pour surligner l’indignation. Amateurs, les fondamentalistes sont tour à tour ridicules, un peu intimidés par leur pouvoir, et tentent sous le regard discrètement satirique du cinéaste de jouer le jeu des modèles : enregistrement de messages vidéos, interdiction du foot tout en devisant sur Messi et Zidane, etc. Dans la ville, on encaisse, on résiste, et l’horreur s’installe sans éclat, mais avec certitude : châtiments, lapidation et mariage forcé auront bien lieu, dans une étrange atonie, subie par tout le monde : personnages, auteur, spectateurs.
Tout est noble dans ce film : la beauté authentique des personnages, la cause dénoncée, les paysages, la pudeur affichée. La scène centrale du meurtre du pêcheur atteste à elle seule de la maîtrise de Sissako, dans un très beau et long plan d’ensemble fixe qui voit le meurtrier involontaire quitter les lieux de son forfait, un lac au couchant.
Pourquoi, dès lors, ne pas adhérer, et rester en dehors de cette ville et du sort qui l’afflige ?
Parce qu’on a du mal à relier tous les fils de ce récit composite, et parce que son unité de ton est problématique. Oscillant entre l’âpreté objective d’un Zviaguintsev et l’humour insolite d’un Elia Suleiman, dans un récit à la fois court et répétitif (comme ces longues scènes de dialogues traduits, censés illustrer la confusion et l’impossible accord entre les hommes aveuglés par leur cause), le film manque de liant et de clarté dans son traitement. S’il s’agissait d’anesthésier le spectateur pour lui faire subir la catatonie qui s’empare des citoyens, c’est réussi, mais on peut se faire une autre idée de la façon de traiter un tel sujet, particulièrement lorsqu’on est armé d’un tel talent à restituer la beauté du monde et de ses habitants.