[dropcap]M[/dropcap]athias, soldat allemand, rencontre Renée, petite fille juive de 7 ans, en décembre 1944, dans les Ardennes belges.
Mathias a été recruté comme espion par l’armée allemande. Son métier est de tuer, sans sentiment. Il exécute les ordres et les personnes, sans réflexion. Il n’a pas de pensée politique, il applique ce qu’il lui est demandé. Il a déjà eu plusieurs vies et a cette capacité à se fondre dans un nouveau personnage qu’il doit incarner pour manipuler l’autre. Il suit la trajectoire qui lui est imposée.
Renée, orpheline juive, est ballottée de familles en institutions religieuses, sensées la protéger de la menace de la guerre. Elle a déjà une grande maturité et une acuité de vision envers la vie, la mort environnante. Les souffrances de la guerre, les deuils, les abandons, et la cruauté des hommes sont son quotidien. Elle a appris à faire avec et maîtrise les interactions humaines. Renée a déjà eu plusieurs vies, elle a cette capacité à déchiffrer l’âme humaine et ses turpitudes. Elle suit sa ligne grâce à son intuition.
Leurs chemins se croisent, est-ce vraiment par hasard ? À la lecture du roman d’Emmanuelle Pirotte, on comprend très vite qu’ils étaient faits pour se rencontrer, ils sont faits l’un pour l’autre. Ce guide, ce fil emplit le récit. Ces deux personnages sont le centre de l’œuvre, les autres protagonistes gravitent autour d’eux pour mieux sublimer le lien incroyable entre Mathias et Renée.
Mathias ne saisit pas l’émotion qui l’envahit devant cette petite fille qu’il doit tuer. L’arme à la main, il doit appuyer sur la gâchette. Il ne la tuera pas. Il choisira de la protéger et de fuir avec elle. Instinctivement. Sans réfléchir. Ils se réfugient dans une cabane abandonnée, en huis clos, où leur face à face va créer et renforcer leur union. Mathias est débordé par ses propres émotions pour cette enfant.
qui le couve intensément de ses yeux profonds, qui le veille quand il dort, et lui procure quelque chose qu’il n’a encore jamais connu, et qu’il est incapable d’appréhender. C’est encore trop confus mais c’est là, cela existe et l’envahit peu à peu d’une sorte de joie silencieuse.
Mathias commence à observer les sentiments en lui, qu’il a mis de côté depuis tant d’années. Renée, elle, sait. Elle veut rester avec cet adulte, le seul qui lui fait vivre ce sentiment d’apaisement, émotion qu’elle n’a plus connue depuis tant d’années.
Elle s’était sentie en sécurité, comme jamais. Elle avait connu avec la différence avec l’Allemand. Elle s’était reposée sur lui. Elle avait baissé la garde.
Puis Mathias ne pouvant plus gérer le tumulte de ses émotions et voulant protéger Renée de la guerre et de lui-même, décide de la confier à une famille vivant dans une ferme.
Mathias, à nouveau seul avec lui-même, s’ausculte, il interroge son intériorité, il tente de décrypter les émotions qui le ramènent sans cesse à Renée. Il se rend alors compte qu’il ne supporte pas d’être éloigné de Renée. Il décide d’aller la chercher. Il retourne dans cette ferme où une famille et des voisins se cachent dans une cave pour se protéger des Allemands, mais aussi des Américains, qui peuvent voler, violer, tuer.
Un autre huis clos se dessine : le quotidien de ce groupe dans cette cave, avec l’apparition de soldats américains qui s’imposent à leur semblant de vie. Emmanuelle Pirotte, historienne, nous apporte des éclairages sur cette période de fin de guerre, qui connait encore des horreurs absolues.
Mathias et Renée sont entourés d’autres personnages, pourtant tout est centré sur eux. Emmanuelle Pirotte a ce don de nous amener à eux seuls, dans une écriture d’une sensibilité incroyable, on ne regarde que Mathias et Renée. On ne vit que pour ce couple improbable. On palpite de peur, de plaisir avec eux. La place des regards est centrale, ils communiquent par leur échange de regards. Ils se comprennent sans se parler. L’élan d’amour et d’attachement entre Mathias et Renée est décrit par de petites touches, des esquisses, rien de grandiloquent, puisque chacun de ces personnages a un accès limité à l’expression de ses propres émotions. La tendresse entre eux est palpable, le style d’Emmanuelle Pirotte, simple et aiguisé, renforce ces sentiments. Mathias renoue avec lui-même, en apprivoisant ses émotions. Renée découvre la puissance de l’attachement et de l’apaisement. Cette communion est d’une grande beauté et d’une tendresse incroyable, malgré le contexte de la Seconde guerre mondiale.
Le roman d’Emmanuelle Pirotte est issu de la co-écriture à quatre mains d’un scénario pour un film qui ne sera jamais tourné. On comprend alors mieux cette capacité à nous faire visualiser les scènes et les sentiments de ses personnages. La finesse d’Emmanuelle Pirotte est d’observer ses personnages et de caler son écriture sur eux, ils sont vivants, ils existent.
Ce premier roman d’Emmanuelle Pirotte, écrit à la troisième personne, est doux, surprenant, puissant. Il nous amène à nous-mêmes, à notre empathie : protéger cette enfant, l’embrasser de nos bras protecteurs, aider Mathias à se libérer. Nous espérons une fin heureuse pour ce couple indéfinissable, pour que la force des sentiments soit victorieuse.
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Today we live d’Emmanuelle Pirotte
Le Cherche Midi Éditeur, septembre 2015
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Image bandeau : Tobias Fischer / Unsplash