[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#9E2628″]J[/mks_dropcap]e ne sais pas pour vous, mais moi, après écoute de Tonight’s Music, j’aimerais pas être dans la caboche de Richard Davies. Sérieux, c’est un putain de foutoir comme j’en ai rarement vu depuis des années : c’est complètement instable, ça se barre dans tous les sens et…
Mais avant de développer quoi que ce soit, commençons par le commencement : Tout d’abord, c’est qui ce Richard Davies ? Il se fait connaître il y a vingt ans avec son groupe The Moles, sort deux disques dont un classique instantané (Instinct), symphonie pop d’une petite vingtaine de minutes absolument barrée, dissout le groupe, s’associe avec Eric Matthews sous le nom de Cardinal et sort un autre classique ,plus conventionnel. Il dissout le duo, sort trois albums solos dont un (le premier) frisant la perfection pop, classique instantané et un second tout aussi remarquable, se perd un peu au fils des années puis se rabiboche avec Matthews, reforme Cardinal pour ressortir un album, moins intéressant pour le coup, et se décide sur un coup de tête à reformer The Moles une vingtaine d’années après son split. En sortant d’abord en 2014 un Ep deux titres absolument renversant, abordant la face la plus pop du groupe, ensuite, fin juin 2016, en présentant un premier extrait du prochain album ( le génial Damien Lovelock, moins pop, moins abordable et beaucoup plus barré).
Donc pour résumer, le gars revient après vingt ans d’absence avec son premier groupe, The Moles, vire tous les membres d’origine, s’adjoint les services de Bob Fay (ex-Sebadoh), Malcolm Travis (Ex-Sugar), Dion Nania (Free Time) et Jarvis Taverniere (Woods) et sort Tonight’s Music, album bordélique au possible, preuve qu’on peut encore faire de grands disques psychiatriques en toute liberté.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#9E2628″]P[/mks_dropcap]arce qu’il faut le dire, ce disque, à la première écoute, déstabilise sévère dans le sens où tous les morceaux semblent jetés là sans logique apparente : ça grince, ça joue faux sur bon nombre de morceaux avec des chœurs à côté de la plaque, des guitares désaccordées tout du long, parfois des plages inaudibles. Heureusement, Davies éclaire un peu ce chemin chaotique en semant ça et là des pop songs absolument remarquables, évoquant sa grande période de la fin des 90’s. Pour preuve Slings & Arrows, Dreamland ou encore Beauty Queens, petits cailloux qui permettent de continuer l’écoute voir s’il n’y aurait pas d’autres trésors de cet acabit ailleurs.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#9E2628″]E[/mks_dropcap]nsuite, une fois la surprise passée, les oreilles bien décapées, après avoir assimilé, au bout de 24 titres, qu’on ne retrouvera pas la sophistication d’Instinct mais plutôt l’aspect rock/brut d’Untune The Sky, l’auditeur peut alors retrousser ses manches, se parer de son piolet, son casque de spéléo, sa boussole et retourner plonger tout entier dans Tonight’s Music. Parce qu’il faut au moins ça pour en explorer les moindres recoins, éviter les pièges tendus un peu partout, les chausses-trappes, savoir apprécier les moments de paix, la lumière qui en émane pour mieux replonger dans les méandres tortueux d’un esprit qu’on pourrait qualifier sobrement de torturé. Qu’on pourrait… mais qu’on ne fera probablement pas après plusieurs écoutes.
Car ce qui ressort de Tonight’s Music, ce n’est pas vraiment que l’esprit de Davies soit torturé, tourmenté, mais plutôt qu’il n’y ait chez lui aucun filtre. Contrairement à sa carrière solo ou avec Cardinal, où il mettait en avant l’aspect présentable de sa musique, The Moles est clairement le reflet de ce qu’a Davies dans sa caboche. C’est à la fois sublime et terrifiant, beau et rebutant, brut et sophistiqué. Parfois, notamment sur Highbury & Islington, sorte de symphonie lo-fi dissonante sortie tout droit d’Instinct, il parvient à être à la fois sophistiqué et terrifiant. Sachant qu’il n’y a aucun filtre, ce qui sidère également c’est la liberté qui se dégage de ce disque, une liberté qu’on n’avait pas entendue depuis des années : celle de jouer régulièrement à côté de la plaque et de s’en foutre royalement, de faire des morceaux rock à faire pâlir les Stones de jalousie (KBO notamment, sec, aride, meilleur morceau des Britons depuis Exile…), de tenter, se planter et réussir à se rattraper le morceau suivant (le psychiatrique et limite audible Wear & Tear suivi du très beau Tonight’s Music). Celle de jouer tous les styles possibles et imaginables : du psychédélisme barré des Flaming Lips (auquel se greffe le lo-fi d’un Sentridoh sur Highbury), au rock cabossé et barré d’un Syd Barrett (Damien Lovelock) en passant par la pop lumineuse de Ride (Beauty Queen rappelle beaucoup le Twisterella des Anglais), les montagnes russes de Daniel Johnston (Home For The Hobos) ou encore le Folk en roue libre des slackers 90’s (Strange Summer) ; celle enfin de varier les structures des morceaux, changer les directions, d’ambiances d’une plage à l’autre, de passer de prairies ensoleillées (Slings & Arrow) à des gouffres anxiogènes (Stray Dog) en un clin d’œil, bref de nous embarquer pour un trip dont lui seul détient les clés et surtout connaît la destination.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#9E2628″]A[/mks_dropcap]près, bien sûr, un tel voyage ne peut laisser indifférent, surtout quand il apparaît aussi déstructuré (Needle & Thread, cinquième plage de Tonight’s Music, pourra être considéré par certains comme le premier morceau à peu près « normal » de l’album) et on peut très bien rester sur le bas-côté et se dire que c’est quasi inaudible tout du long (entre les instruments jouant faux, les changements incessants de rythme, le dénuement sonique de certains morceaux, il y a de quoi être désorienté pour ne pas dire rebuté). Mais comme dans tout album qui ne suit que sa propre logique, sans aucun schéma prédéfini, le plus important c’est de creuser, persévérer, s’accrocher aux titres les plus évidents pour laisser l’oreille s’habituer aux autres ; fouiller à pleines mains, chercher et sortir les pépites, innombrables, parmi les titres mal dégrossis en première écoute (Head In The Speakers, Strange Summer, merveilles psychés folk déstabilisantes au premier abord), mettre certains titres de côté pour ensuite y revenir et finir par se passionner pour cette vision si particulière d’un demi siècle de musique (comme je le disais plus haut, tous les styles y passent que ce soit le Folk, le Rock, le Psyché, la Pop et même l’électro via la drum’n’bass). Particulière car au final Tonight’s Music fonctionne comme un monde en vase clos, la vision déviante d’un gars en total décalage, rappelant Syd Barrett ou encore Daniel Johnston sans que la maladie ne lui bouffe complètement le cigare. Davies est probablement fou, c’en est même une quasi certitude (on ne sort pas après vingt ans d’absence et une capacité hallucinante à écrire des merveilles pop, un disque comme Tonight’s Music sans l’être), mais il y a chez lui un tel talent, une telle personnalité qu’on ne peut qu’être hébété, sonné, ahuri (rayez la ou les mentions inutiles) après l’écoute de ces 24 titres. Et même finir par lui pardonner un si long silence. Pourvu qu’il redonne de ses nouvelles assez rapidement.
Sortie le 12 août dernier en cd (24 titres) et vinyle (15 titres + 9 en téléchargement) chez Fire Records ainsi que chez tous les disquaires disposant d’une armoire à pharmacie à usage psychiatrique.