[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]près le très remarqué Gravesend édité par les éditions Rivages , William Boyle revient cette année avec un nouveau roman édité cette fois par les éditions Gallmeister, Tout est brisé. Contrairement au premier opus, il ne s’agit pas cette fois d’un roman policier ou d’un roman noir, mais l’auteur donne ici à lire une intrigue de facture classique, une relation mère-fils compliquée.
Erica est une femme qui paraît au bout du rouleau ; épuisée, sa vie est remplie de contrariétés. La plus importante sans conteste est celle incarnée par son père, un vieux monsieur têtu et tyrannique qui, malgré son état de santé plus que fragile, ne souhaite pas rester un instant de plus à l’hôpital. Un séjour qui aurait pourtant permis à sa fille de souffler un peu, mais le père désire regagner son domicile et il n’est pas tendre pour se faire entendre, adoptant un ton sec et humiliant. Erica renonce, baisse les bras et consent bien malgré elle à l’accueillir chez elle afin de veiller sur lui.
Il faut gérer cette situation tout en allant travailler, elle se sent seule, isolée, et ne peut pas compter sur sa sœur, qui ne sent pas l’âme aussi hospitalière qu’Erica. Elle vit un peu dans son monde et parfois manque un peu de tact pour ne rien arranger. Elle est surtout sans nouvelles de son fils, Jimmy, parti depuis plusieurs semaines, elle ignore où il se trouve et s’en inquiète. Il a souhaité rejoindre des amis dans une colocation sans lendemain sans préparer quelque chose de sérieux pour son avenir. Après une désillusion, Jimmy revient, il est au plus mal, il semble perdu, se cherche, un état quasi dépressif. Le retour dans le quartier de Brooklyn, c’est toute son enfance qui rejaillit, des vieux souvenirs enfouis, qui n’améliorent pas son spleen. Il se met à boire le soir, rentre saoul. La relation avec sa mère est conflictuelle sur fond de rancœur. Pourtant Erica va essayer de tout faire pour aider son fils…
William Boyle signe un roman profondément humain, analysant ses personnages par leurs réactions et leur attitude. Une succession de descriptions et d’actions du quotidien traduisant leur émotivité suggèrent les états d’âme des protagonistes, nous mettent sur la piste de leur intériorité, de ce qu’ils ressentent au plus profond d’eux même. Ils sont brisés, abîmés par la vie, il sommeille en eux une flamme qui vacille, il ne faut pas grand chose pour qu’elle se ravive : un mot échangé, un regard chargé d’affection, une connivence quelque peu oubliée soudainement retrouvée.
La relation mère-fils est un thème classique en littérature. William Boyle le prend à son propre compte pour décrire une situation distendue entre Erica et Jimmy, une incompréhension totale, les dialogues sont froids et secs, pourtant le garçon retrouve sa chambre inchangée depuis son départ comme si sa mère avait tout fait pour préserver le plus possible d’éléments ayant appartenu à l’adolescence de son fils, des posters, la musique, son lit. Le temps fera peut être le reste.
A l’instar de Gravesend, les protagonistes de Tout est brisé ont un lien indéfectible avec le quartier d’où ils sont originaires, un peu comme si Brooklyn avait laissé une empreinte viscérale. Un regard de sociologue de la part de l’auteur qui estime que le lieu où l’on vit forme un lien tenu avec notre propre identité, les souvenirs, les amis laissés en route avec qui on a fait les 400 coups ou non. Un quartier qui se transforme aussi avec l’usure du temps, il s’agrandit ou il périclite, le départ ou l’arrivée des habitants qui le délaissent pour tenter leur chance ou qui restent bien malgré eux comme résignés, il donne le pouls d’une comédie humaine évolutive.