Certaines lectures arrivent au moment où l’on est prêt sans même le savoir. Tout le bleu du ciel en est une. En lisant son adaptation graphique, on plonge dans un voyage doux et douloureux, un road trip de cœur et d’âme, entre deux êtres qui se découvrent à mesure que le temps file et s’effiloche.
Cette bande dessinée est l’adaptation du premier roman de Mélissa Da Costa, immense succès littéraire paru en 2019. Carbone, au scénario, et Juliette Bertaudière, au dessin et aux couleurs, s’attaquent à un texte qui a bouleversé des milliers de lecteurs. Il n’était pas simple de condenser la richesse du roman tout en préservant sa sensibilité et sa profondeur. Le résultat est à la hauteur.
L’histoire suit Émile, 26 ans, atteint d’Alzheimer précoce. Refusant de se laisser enfermer dans un hôpital ou dans le regard compatissant des autres, il décide de partir sur la route. Il poste une petite annonce pour trouver un compagnon de voyage. Seule Joanne répond. Ensemble, ils embarquent dans un camping-car, direction les Pyrénées. Ce voyage sera celui de la liberté, mais aussi des révélations. Au fil des kilomètres, les silences se brisent, les confidences surgissent, et une relation faite de respect et de tendresse se tisse, loin des clichés.
Carbone a choisi une narration tout en pudeur. Pas de grands effets dramatiques. L’émotion s’installe progressivement, dans les gestes simples et les dialogues légers. L’ombre de la maladie plane, mais elle n’écrase jamais le récit. Juliette Bertaudière, elle, signe un dessin qui épouse cette sensibilité. Les paysages pyrénéens sont somptueux, baignés de lumière pastel. On respire presque l’air pur de la montagne, on sent la chaleur d’un coucher de soleil sur la peau. Les couleurs oscillent entre douceur et gravité, comme un écho à l’état intérieur d’Émile. Le bleu apaisant s’impose lors des moments de calme et les teintes se font plus sombres lorsque la mémoire vacille.


L’un des grands atouts de cette BD réside dans son rythme. Certaines pages s’ouvrent comme des fenêtres avec de grands panoramas qui donnent l’impression de planer au-dessus des routes sinueuses, comme si l’histoire offrait une respiration au lecteur. D’autres se resserrent sur des détails, un regard perdu, une main qui tremble ou une larme retenue. On passe du souffle à l’intime, du vaste au minuscule, et ce contraste crée une expérience profondément immersive.
Tout le bleu du ciel est bien plus qu’un récit sur la maladie. C’est une réflexion sur le temps, celui qui reste, celui que l’on choisit d’habiter, celui que l’on perd sans le savoir. Émile ne se résigne pas, il s’affirme, même dans la fuite. Joanne, de son côté, n’est pas qu’une accompagnatrice. Au fil du voyage, ses propres blessures apparaissent, et le camping-car devient un espace de réparation, presque un sanctuaire roulant.
Certaines scènes marquent durablement. Quand Émile, après une journée éprouvante, s’installe face à un paysage et laisse le vent lui caresser le visage, c’est une véritable déclaration de liberté. Quand Joanne révèle enfin la raison de sa présence, le récit se renverse et gagne en profondeur. Et ces vues panoramiques des cols pyrénéens, véritables toiles vivantes, donnent une sensation d’élévation, à la fois littérale et symbolique.


Le sens caché de l’histoire, celui qui parle autant aux adultes qu’aux jeunes lecteurs, est limpide. Aimer, c’est accompagner sans posséder. C’est accepter la fragilité de l’autre, mais aussi la sienne. Et surtout, c’est savoir que la beauté peut naître dans l’éphémère, dans les instants partagés, même quand la fin est inévitable.
Cette BD est une lumière fragile mais nécessaire. Elle ne cherche pas à arracher des larmes (elle y parvient cependant), mais à offrir une forme de paix. Elle rappelle que même au bord de l’abîme, il existe des instants suspendus qui donnent du sens à l’existence. À l’instar d’un coucher de soleil qui ne dure que quelques minutes mais qu’on n’oublie jamais.
À offrir, à lire lentement, à partager. Une de ces œuvres rares qui continuent à résonner bien après avoir été refermées. Parce que le bleu du ciel n’est pas seulement une couleur, c’est un espoir, une promesse, un souffle.



