Le roman de l’Italien Alessandro Baricco était un régal. La bande-dessinée qui en est l’adaptation est aussi une belle réussite. Signée Denis Lapière pour la mise en écrit et Aude Samama pour les dessins et les peintures, Trois fois dès l’aube revêt tout le charme original et sensuel de l’ouvrage éponyme.
L’album est découpé en trois chapitres où l’aube agit comme un révélateur de sensations, de vérités. Elle éclabousse de ses couleurs et de son aura le destin croisé de deux personnages, un homme et une femme, aux facettes diverses. Elle est, par exemple, une femme influente, avant d’être, quelques pages plus tard, sous influence. Il est un homme faible avant de faire preuve, plus tard, de courage et d’audace.
Pour autant, bien que l’on passe d’une histoire à l’autre, le femme du début affiche des similitudes avec celle de la fin. Ainsi donc, dans « la première aube », elle travaille pour la Police ; et dans « la troisième aube », elle EST inspectrice de Police. Quant à lui, au début de l’album, il est un homme au passé douloureux, qui fut témoin de l’incendie de la maison familiale alors qu’il n’était qu’un enfant. Et le voici, dans les dernières pages de l’ouvrage, sous les traits de cet enfant perdu et meurtri.
Alors au vu de ces histoires qui se chevauchent, telle histoire nocturne est-elle la suite de telle autre ? Ou l’aurait-elle précédée ? Eh bien… non ! Car chaque rencontre entre l’homme et la femme ne peut être que la première, l’unique et la dernière. Vous le comprendrez à la lecture de la bande-dessinée : le temps des trois histoires n’appartient ni à la réalité, ni donc à la vraie vie, mais à un espace imaginaire, rêvé, fantasmé.
C’est toute la magie de l’art romanesque qui n’a d’égal que l’imagination de l’écrivain. C’est une plongée dans un monde hors du temps réel, ici transposé dans une bande-dessinée aux accents par ailleurs… languissants : à l’hôtel Ambassador, qui marque la première aube, l’homme se laisse bercer par la redoutable musique de la séduction, tandis que la femme le piège en douceur ; à l’hôtel du Centre, qui verra se lever la deuxième aube, la femme se laisse aller à d’intimes confidences auprès d’un inconnu, avant de glisser vers la liberté retrouvée.
Chacun des trois chapitres s’ouvre sur un visuel pleine page, permettant de planter le décor, magnifiquement pictural, à la manière d’un tableau de Van Gogh. Paysages, figures et illustrations impressionnistes illustrent ainsi la fuite du temps et des sentiments, entre chien et loup, contribuant à laisser de Trois fois dès l’aube… une belle et touchante impression.