[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ba2929″]P[/mks_dropcap]arfois on a l’impression d’avoir connu une héroïne de roman comme si on l’avait rencontrée en vrai. Là, quelque part en soi, dans l’intimité des mots qu’un écrivain met entre elle et vous. Lire un livre, finalement, c’est toujours découvrir un visage. Je me souviens que c’est le sentiment que j’ai eu en lisant Trop de Lumière de Marinette Lévy, paru chez Plon au début de cette année.
Ce roman renferme une rencontre. Avec Léo, chanteuse glorieuse qui doit faire face à la mort brutale du seul ami qui l’ait connue sans le masque de sa célébrité. Cette gloriole qui rend isolé, capricieux, solitaire, détestable et enviable, cet état où, comme disait Robert Mitchum, tout le monde vous connaît et où vous ne connaissez personne. Ça commence avec la disparition d’un ami d’enfance donc. De ceux pour qui on craint, qui vivent comme des funambules déséquilibrés sur leur fil. De ceux qu’on ne supporte plus. De ceux qu’on n’oublie jamais vraiment, même quand le silence et le temps ont imposé leurs distances. Elle a le rapport de police. Elle le lit. Il a fait une overdose dans un squat glauque, après une étreinte avec un autre égaré. Elle l’apprend alors qu’elle va faire une émission à succès où l’on célèbre les faux semblants et les amitiés de circonstances, qui fleurissent au gré des promotions et des sourires forcés. Mais la réalité est venue imposer sa lumière crue dans son monde de pacotille, dont elle était déjà lassée et qui va lui devenir insoutenable.
Léo est une star. Avec tout ce que ça induit d’égocentrisme et de misanthropie. De tyrannie également, pour sa pauvre assistante. Et avec cette cour de visqueux qui traîne dans son sillage pour profiter de ses bribes de notoriété, même si elle peut leur être à l’occasion indifférente ou odieuse. On entretient le mirage avec force paillettes, même si le cœur n’y est pas. Même si le visage se fatigue. Une diligente maquilleuse, ou un courtisan obséquieux et hypocrite sera toujours là pour faire barrage ou illusion.
Seulement… Seulement, il y a le temps qui passe. La mort qui rôde et la chute qui menace à chaque concert, l’adulation des foules est si inconstante que sans cesse il faut l’entretenir. Marinette Lévy suggère sans cesse cela. Ce côté vampirique de l’exposition qui vous ronge, cette création et cette toute-puissance trompeuse dont se croient investies les divinités des tubes cathodiques. Ces légendes tapageuses et criardes que le public avide consomme jusqu’à l’écœurement, ces mythes galvaudés pour combler notre vide.
Léo a pu se prendre au jeu, sans doute, l’aimer aussi. Mais au moment où on l’approche, elle en est vaguement dégoûtée de cette lumière qui consume et qui, peu à peu, lui a caché celle du soleil.
Elle continue, par automatisme. Par professionnalisme. Parce qu’elle n’a jamais su faire autre chose. On songe à cette photo de Marilyn, le sourire éclatant à son dernier anniversaire, devant laquelle elle aurait murmuré « Je souris mais mes yeux sont morts ». Ce roman donne à voir cette dichotomie.
Au sommet ne subsiste que le spleen. Et la peur du vide. L’ombre de la mort. Celle du dernier qui l’a vraiment connue. Celle encore de cette fillette étrange au prénom proche du sien, qu’elle a croisée pendant une visite de bienfaisance dans un hôpital. De sombres pressentiments dont aucun projecteur ne peut la divertir. Elle prend conscience de la grande arnaque. Des vieux amis qui n’en sont plus depuis longtemps, de cette vie qui a fini par lui ressembler si peu. On en connaît les travers ici. La face sombre des icônes. Avec une remarquable justesse.
On a l’impression d’entendre la voix de Léo. Ce premier roman est un très beau monologue, et ce personnage qui paraissait d’abord assez antipathique acquiert une sensibilité et une lucidité magnifiques, plante son regard désabusé dans une réalité devenue trop grave pour être faussée, un silence intérieur devenu trop assourdissant pour être enseveli sous les acclamations.
C’est finalement rare de voir ce qui se passe de l’autre côté du miroir. Après la chute du rideau. D’avoir la vérité d’une femme, plus belle, plus cruelle et plus âpre, que le mensonge irréel auquel on nous apprend à croire. L’artiste est véritable, sensible, intègre, toujours. C’est tout le cirque autour d’elle qui devient écœurant.
Tout ce qui n’est pas l’art mais une idée reçue, préfabriquée et lissée pour convenir au grand nombre. L’inconnue fantasmée que des millions croient connaître alors qu’elle est seule, malgré l’agitation permanente qu’on déchaîne autour d’elle. Jusqu’à anéantir ce qui la rendait belle.
Vouloir être célèbre est mortifère. J’ai songé à la trajectoire tragique de Brando, à la lecture. À ces gens trop sensibles et trop intelligents pour véritablement croire aux louanges et aux flatteries avec lesquelles on les endort, on les maintient, on les hypnotise, on les détruit.
Au final, si Léo est belle, c’est parce qu’elle n’est qu’une femme qui touche à ses limites. À ce stade de la vie où l’inconscience n’est plus de mise et où il nous faut reprendre contact avec le monde, dans une nécessité de vie ou de mort. Les changements de vie sont toujours bouleversants quand ils prennent ce caractère définitif. Ce roman nous en fait ressentir un de manière progressive et très forte. Symbolique et profond.
Au-delà des people, du vacarme et dans l’humain trop humain.
Au plus près d’elle et de sa voix, sans filtres entre son inconscient et les yeux du lecteur.
L’auteure nous place dans une proximité troublante avec son héroïne. On lit ce roman et on s’y absorbe comme on écoute une chanson au casque, avec une attention suspendue, recueillie.
Au-delà des futilités et des mesquineries dont elle se fait l’écho, on découvre la beauté de cette femme qui tente de reprendre le contrôle de sa vie, hantée par le regard d’une fillette condamnée. Désenchantée, certes, mais pas désespérée, elle va tenter tout au long des chapitres de se retrouver. De revenir d’égarements trop anciens. De se réconcilier avec ce qui compte pour elle, tandis qu’elle rompt avec des faussetés qu’elle ne supporte plus.
C’est le récit d’une renaissance, implacable, lucide, lumineuse.
Étrange comme une fin de vertige.
Belle comme un lendemain d’oubli.
Trop de Lumière de Marinette Lévy
Publié en janvier 2017 chez Plon.