[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#D44E50″]D[/mks_dropcap]écouverte en France avec Tout le monde s’en va, publié en 2008 dans la collection La Cosmopolite chez Stock, Wendy Guerra revient en cette rentrée littéraire avec Un dimanche de révolution, publié chez Buchet-Chastel. Son passage à Nantes lors d’une soirée proposée par la librairie La vie devant soi a été l’occasion de faire connaissance avec ce touchant et puissant petit bout de femme.
Tout le monde s’en va est un hommage aux quelques livres auxquels Wendy Guerra avait accès étant petite. Elle cite par exemple Le Club des 5, dont elle a dévoré chaque titre qu’elle pouvait approcher. Ce roman pose la question de ceux qui partent, vers une vie supposée plus belle ailleurs, et surtout de ceux qui restent. Nieve, l’héroïne qui a grandit à Cuba, se livre et s’interroge sur ce qu’est son île et quel avenir lui est proposé au sein du régime de Castro. Entre résistance et créativité, Nieve ne se résout pas à partir, elle est née à Cuba et pense que c’est en restant qu’elle pourra rendre son pays meilleur. Composé d’extraits de journaux intimes, Wendy Guerra y trouve son matériau idéal pour l’écriture : partir du réel, inclure cette écriture brève et très intime pour créer une histoire.
Dans Mère Cuba, le regard est inversé et le personnage central, Nadia Guerra (qui a dit que ce n’était pas inspiré de la vie de Wendy Guerra ?) part à l’étranger, passe par Paris et Moscou, tout en continuant à interroger son lien ténu avec La Havane. Quel devoir avons-nous envers le lieux de notre enfance ? Faut-il rester pour espérer changer ? Là aussi, l’auteur créé le récit sous forme de passages de journal intime – de la mère de Nadia – et construit un personnage touchant et porteur de force, à l’imagine d’une génération baignée et élevée dans l’après-révolution cubaine.
Comme Cuba est à Cuba et qu’on ne peut pas l’emporter ailleurs, j’y reviens.
Ce sont les journaux d’Anaïs Nin qui ont inspiré Poser nue à la Havane, publié en 2010. Tout commence quand Wendy Guerra se prend au jeu d’une quête qui agite La Havane : trouver la maison où a résidé Anaïs Nin pendant son séjour cubain en 1922. Les hypothèses vont bon train, on cherche, on bluffe…. Guerra a l’idée de se rendre sur la tombe du père d’Anaïs Nin et demande à voir le registre. Là, elle trouve une preuve tangible de son passage. Et mieux, une adresse où la trouver. Guerra connait désormais la maison dans laquelle cette femme si libre, si forte, si combattante a vécu. Elle se sent immédiatement très proche d’elle et la caresse du bout des doigts grâce à ses journaux. De là, elle s’inspire et tisse ce récit poignant qui résonne avec sa propre recherche de racines et de sens.
Dans Un dimanche de révolution, une jeune femme nommée Cléo se raconte et décrit quelle est sa vie à La Havane. Comment, en tant que poétesse et fille de révolutionnaires, elle tente de vivre sa vie et continue à écrire. Ce récit plein de sensualité, de joie et d’espoir expose une autre facette du travail de Wendy Guerra : au-delà de la nécessité de se battre et remettre en question, il faut continuer à vivre et à vibrer. Là aussi, les racines et la quête de son identité font partie intégrante du récit, comme toile de fond entre deux moments d’abandons avec Geronimo, l’acteur qui déboule tel un magnifique élément perturbateur dans sa vie parfois morose.
Juillet arriva et, avec lui, la transparence de l’été. La Lumière de Cuba reproduit nettement les images de ce que je suis en réalité, ce que j’ai gardé pour moi. Quand je veux dissimuler un sentiment, une expression ou un geste aigre-doux qui vient avec les souvenirs, la lumière naturelle rend le paysage intérieur explicite et te déshabille en pleine rue, en plein soleil. L’irradiation soulève ta jupe et te possède. Ici, on ne peut rien cacher, ni de soi ni de l’autre ; la transparente illumination de cette île batifole avec les secrets et règne sur eux.
Le vert kaki constant de cette île et le rouge vif, le jaune profond, les orangés fumants sur la gamme des bleus, le blanc écarlate et violacé des nuages saigne au coucher de soleil, résistant goutte à goutte au dernier moment du jour chaud et épuisant, définissant la patine sentimentale d’un pays qui crie ce qu’il ressent.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#D44E50″]W[/mks_dropcap]endy Guerra parle de son pays et son île avec une tendresse palpable. Elle vit actuellement à la Havane, légèrement à l’écart du centre et a conscience de sa situation privilégiée et isolée. Elle n’a pas accès à tout, fait le plein de nourriture à chacun de ses voyages, en profite dès qu’elle peut pour se procurer tous les livres introuvables à Cuba et annonce, sans ciller, que ses livres n’ont jamais été publiés chez elle.
Celle qui dit vivre dans une dictature de gauche, en connait les règles non officielles. Sa mère lui disait : « Les auteurs c’est comme la lingerie, on les garde tout près de soi et on n’en parle pas à l’extérieur ». Lire est donc possible, mais en cachette, au gré des trouvailles et des livres que l’on se passe de main en main. Wendy Guerra est aujourd’hui encore très inspirée par la littérature russe : forte, robuste, marquante et qui reste. Elle fait aussi partie du groupe Bogota 39 (projet rassemblant 39 auteurs latino-américains parmi les plus prometteurs ayant moins de 40 ans) qui lui permet notamment des échanges de livres qui la nourrissent. Elle profite ainsi d’un accès facile à la littérature étrangère et déplore que ce ne soit pas le cas de tout le monde à Cuba.
Celle qui y a toujours vécu n’est pas tendre : la place des femmes dans la société cubaine pas fameuse, la révolution a été faite par des hommes qui ne savent pas qui sont les femmes ni ce à quoi elles aspirent. Les féministes n’existent pas là-bas. Guerra est fatiguée de le constater et regrette que cet espace de lutte n’existe pas à la Havane.
Fuir n’empêche pas les névroses et les peurs, on les emporte avec soi.
Étonnement, le seul espace de liberté est finalement le corps. C’est pourquoi Wendy Guerra écrit sur la sensualité, le fait d’être femme et la puissance du corps. Cela permet une certaine liberté de ton et de regard. Elle fait partie de ce qu’on appelle la troisième génération après la révolution : celle qui a toujours vécu avec, s’en est abreuvé, et qui commence à relever la tête et imaginer un autre possible.
Wendy Guerra est étonnante : telle une poupée, sa voix est posée et agitée en même temps. Elle ne tient pas en place. Sa liberté en dehors de Cuba est toujours brève et intense, comme un rêve… Elle nous laisse avec un sourire tendre et une énergie communicative. Les questions aussi restent en suspens : que pourra-t-elle faire de son héritage ? Restera-t-elle toujours à Cuba ? Quel avenir possible pour cette île ?
Un dimanche de révolution, de Wendy Guerra
Traduit de l’espagnol (Cuba) par Marianne Millon éditions Buchet Chastel, août 2017