[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366″]L[/mks_dropcap]a cause féministe – constat heureux et regrettable à la fois – figure régulièrement dans les colonnes des chroniques Vents d’Orage. Preuve de l’attention que portent les créateurs à la condition de la femme évoluant au rythme de l’érosion. Vous me répondrez que, malgré tout, on ne peut nier leur présence à des postes à responsabilité, un notable rééquilibrage dans les tâches ménagères ou l’éducation des marmots. Certes, mais je vous répondrai que subsistent de grandes disparités, par exemple entre l’Occident et la plupart des autres parties du globe. Et, même chez nous, ne soyons pas dupes, l’accès de la gente féminine aux plus hautes fonctions, politiques notamment, tient du parcours du combattant.
Intemporalité et universalité, les deux mamelles de l’excellence artistique ? Indéniablement en ce qui concerne ce texte d’Ibsen, comme un écho à l’univers de « La peur » de Stefan Zweig, une réminiscence. L’intrigue pourrait tout aussi bien être transposée dans un autre milieu social, une autre sphère professionnelle, ou se dérouler en Chine au XVIIIème siècle. L’attrait de cette « Maison de poupée » et de la mise en scène proposée ici par Philippe Person, réside non pas dans une description précise du plafond de verre ou de chaque obstacle qu’une femme se devra de franchir avant de parvenir à l’égalité de statut. Ce dernier point est d’ailleurs une erreur grossière qu’il semble opportun d’alimenter pour ne pas aborder la question cruciale : celle de la liberté. Au plan philosophique bien plus encore que psychosociologique ou économique, ce libre arbitre, cette possibilité de choisir, de prendre son destin en main et de vivre la vie que l’on a choisit, s’avère particulièrement bien traité.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366″]L[/mks_dropcap]a scénographie réduite à sa plus simple expression, symbolise l’enfermement dans une cage dorée… cage tout de même. Le quatuor fonctionne bien, tout particulièrement autour des deux comédiennes se faisant face, l’une telle un miroir de l’autre. Une amie d’enfance, ayant tout perdu et tentant désespérément de retrouver (de trouver tout court) une utilité sociale et familiale dans le but de survivre (et pourquoi pas de vivre), fait irruption dans le quotidien d’un couple bourgeois que rien ne semble pouvoir vraiment atteindre. Une irruption d’abord anodine mais qui bouleversera bientôt les perspectives de Nora, femme frêle mais capable qui avoue dans un souffle qu’être joyeux, ce n’est pas être heureux. Une autre leçon à tirer de l’époque dans laquelle nous évoluons, emplie de biens et de divertissements, de vide, dénuée de sens. Mais une poupée, jusqu’ici bon petit soldat, dit non aux diktats… écoutez-la plutôt que de vous contenter de l’entendre.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366″]L[/mks_dropcap]e pitch : Emprunter, mentir, falsifier des signatures, c’est tout ce que Torvald Helmer, employé de banque, condamne. C’est pourtant ce que sa femme Nora a fait en cachette pour qu’il puisse se soigner. Elle a presque fini de rembourser sa dette quand Torvald Helmer est nommé directeur. Il décide alors de renvoyer le commis Krogstad, en raison de son passé douteux. Or, Krogstad n’est autre que le créancier de Nora. Pour se défendre, il vient faire du chantage à cette dernière en la menaçant de tout révéler à son mari. Au même moment, arrive Madame Linde, ancienne amie de Nora et ancienne maîtresse de Krogstad.
Femme seule, elle vient demander une place dans la banque de Torvald Helmer. Nora fera tout pour déjouer les intentions de Krogstad, malgré les conseils de Madame Linde qui l’incite au contraire à tout révéler à son mari. La maison de poupée se transforme peu à peu en un huis-clos suffocant. C’est donc asphyxiée, forcée de se dénoncer, que Nora se livre à son mari. Hors de lui, ce dernier se révèle être non plus le mari protecteur mais l’homme blessé. Dans ce monde bourgeois, il veut malgré tout sauver les apparences. Mais Nora est passée du côté de la vérité. C’est donc sa vérité de femme, libre et forte, qu’elle assumera en quittant le domicile conjugal.
Note d’intention de Philippe Person, le metteur en scène : Cette pièce, dès la première lecture, ne nous sort plus de l’esprit. Elle fait partie de ces classiques dont on se dit : « Un jour, …. » Quel hymne à la liberté, à la liberté d’action et d’expression ! Qui n’a pas été soumis à des problèmes de servitude ou de soumission professionnelle ou privée ? Et qui, par peur ou par habitude, ou encore par crainte du regard d’autrui, n’a pas osé faire sauter tous les verrous ? C’est parce qu’elle est parfaitement universelle que cette pièce ne nous sort plus de l’esprit. En plus du personnage de Nora et des thèmes abordés qui m’enthousiasment, il y a les dialogues parfaits, simples et justes d’Ibsen. Helmer : Il n’y a personne qui sacrifie son honneur pour l’être qu’il aime. Nora : c’est ce que des centaines de milliers de femmes ont fait.
La mise en scène suivra Nora, ses pensées et ses actes, comme un plan-séquence au cinéma. Le spectacle basculera d’une atmosphère joyeuse de Noël au climat angoissant dû à l’apparition d’un maître-chanteur. Alors, se déclenchera un compte à rebours de trois jours, trois jours qui feront basculer la vie de Nora. Comme un film pourrait passer de la couleur au noir et blanc, dès le deuxième acte, les ambiances deviendront pesantes, puis angoissantes. Alfred Hitchcock aurait pu filmer Nora. Si Nora est devenue, pendant un temps, un symbole féministe, je souhaite montrer l’universalisme du propos. Il n’est pas seulement question de la femme mais de nous tous.
Pour Jean Cocteau, mettre en scène Une maison de poupée, c’est « mettre en scène du réalisme irréel qui sera un jour le signe de notre siècle ».
Pour moi, après Victor Hugo, Oscar Wilde, Jacques Prévert, Octave Mirbeau, mettre en scène Henrik Ibsen, c’est aussi continuer à m’intéresser aux « génies contestataires ».
Une maison de poupée
D’après : Henrik Ibsen
Mise en scène : Philippe Person
Avec : Florence Le Corre, Nathalie Lucas, Philippe Calvario et Philippe Person
Du 7 décembre 2016 au 21 janvier 2017
Au Théâtre du Lucernaire
53 Rue Notre Dame des Champs, 75006 Paris