Curieuse trajectoire que celle de Moritz Von Oswald. Batteur en premier lieu d’un groupe pop/new wave dans les années 80 (The Associates avec Billy MacKenzie), l’Allemand a suivi une trajectoire tout à fait particulière les décennies suivantes. Alors qu’on aurait pu penser son parcours tracé d’avance (batteur dans un groupe pop anglais puis dans un autre puis…), en s’associant à Mark Ernestus au début des années 90, il va tout simplement marquer la musique électro Allemande d’une empreinte indélébile. En effet, en sortant sous le nom de Rhythm & Sound, Round One To Round Five, Maurizio ou encore Chain Reaction, une flopée de maxis, tous aussi mystérieux les uns que les autres (en gros, titre + nom du groupe ou du label mais aucun renseignement ne filtre sur les auteurs), l’Allemand va inventer une nouvelle grammaire musicale en dépoussiérant le Dub et en créant ni plus ni moins la Minimal Techno, l’Ambient Dub ou le Dub Techno. Le parcours est absolument saisissant sur la compile de maxis Round One To Round Five où on passe à chaque round d’une House légère et hédoniste (Round One) à un Dub enfumé et lourd (Round Five). De 1992 à 1997 en six maxis, sous le pseudo de Maurizio, il épure la Techno comme jamais, la fait collaborer avec le silence pour un résultat complètement hypnotique (qui marquera des artistes comme Plastikman). En 1996, il s’attaque au Reggae/Dub avec Rhythm & Sound, applique le même traitement, sort en 1998, avec Tikiman (alias Paul St Hilaire) un Showcase révolutionnant le Dub puis quelques années plus tard un With The Artist et un The Versions confirmant le génie du duo. La collaboration va s’effectuer ainsi jusqu’à la fin des années 2000.
Parce qu’il n’est pas seulement musicien mais un véritable activiste dans le milieu underground Berlinois, il créera, en 1993, le label Basic Channel et un nombre de sous-labels lui permettant soit de sortir des créations originales d’autres artistes (grâce à Chain Reaction, Porter Ricks, Monolake, Fluxion, Vladislav Delay vont pouvoir se faire connaître et sortir leurs meilleurs albums), soit sortir leurs propres créations (plutôt orientées House avec Main Street Records, Reggae avec Burial Mix ou Rhythm & Sound) ou encore sortir de l’oubli certains artistes Reggae ( Keith Hudson, Jacki Mittoo grâce au label Basic Replay et toute une flopée d’autres avec Wackies).
Fin des années 2000, l’Allemand abandonne les pseudos et se décide à sortir de l’ombre en utilisant son véritable nom. Par la même occasion, il abandonne quelque peu la musique électronique pour s’aventurer avec plus ou moins de succès (plutôt moins) vers les territoires du Jazz, du Classique ou de la World. Il créé donc, avec Vladislav Delay et Max Loderbauer, le Moritz Von Oswald Trio avec lequel il s’oriente vers le Jazz. Si les premiers essais sont loin d’être concluants (un Vertical Ascent ennuyeux, un Live In New-York à peine meilleur et un Horizontal Structures où on commence à sentir l’inspiration poindre le bout de son nez), seul Fetch, sorti en 2012 et dernier album en date, tire véritablement son épingle du jeu.
Le nouvel album à sortir ces jours-ci, Souding Lines, le voit revenir à un niveau nettement supérieur. Et ce pour différentes raisons : d’abord parce que le line-up a changé (exit Vladislav Delay, welcome Tony Allen), ensuite Souding Lines est mixé par Ricardo Villalobos et enfin et surtout parce qu’il sonne comme la synthèse réussie de tous les travaux de Von Oswald jusque là. Le postulat de départ de Sounding Lines, comme les trois albums sortis précédemment, est d’appliquer au Jazz l’épure qu’il a pu faire subir à la Techno, l’Ambient ou le Dub et le faire sonner comme un disque de Minimal Jazz. Le second postulat est de parvenir à rendre une musique électronique, épurée, quasi atonale, complétement organique. C’est ici que Tony Allen va faire toute la différence. Son jeu oriente celui du duo vers des territoires bien plus amicaux grâce à une tonalité plus chaude, flirtant avec la World (la Techno/Dub du Sounding Lines 3) et s’adaptant à merveille à la coloration jazzy souhaitée par Von Oswald (le spectral et formidable Sounding Lines 5) . Mais il va surtout permettre au duo d’élever considérablement le niveau des compositions et même à Von Oswald d’accomplir en huit morceaux une excellente synthèse de vingt cinq années d’activisme musical (Jazz + Dub + Minimal Techno + Ambient Dub + Musique Concrète) sans être à un seul moment pénible ou ennuyeux. L’autre exploit que parvient à accomplir Tony Allen avec le duo est de l’emmener vers d’autres directions auxquelles il n’aurait absolument pas pensé (outre la World, sur Sounding Lines 6, le jeu d’Allen est très Soul, au point qu’ on verrait presque débarquer dans l’intro des wah-wah à la sauce Mayfield).
Aussi, en excluant Vladislav Delay (bien trop proche de son univers), Von Oswald a eu l’intelligence, avec une certaine humilité, de se remettre en question en prenant suffisamment de recul sur sa musique. Et, tout en étant fidèle à lui-même, il s’autorise, avec la venue de Tony Allen, à y apporter différentes tonalités qui feront que Sounding Lines parviendra à un équilibre voire une sorte de sérénité qui faisait défaut sur les précédents disques. Il en résulte donc un album au premier abord assez linéaire (on évolue dans une musique par essence minimaliste), parfois complexe, qui nécessite plusieurs écoutes mais plus abordable et chaleureux que tout ce qu’il a pu sortir depuis près de dix ans, parvenant presque au niveau de ses productions des années 90. Bonne nouvelle donc.
Sortie le 8 juin dernier chez Honest Jon’sRecords/Modulor ainsi que chez tous les disquaires minimalistes et chaleureux de France.