[mks_dropcap style= »letter » size= »50″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]N[/mks_dropcap]e vous fiez surtout pas au nombre de pages, ne vous dites pas « oh chouette un petit livre » vous risqueriez d’être déçus. Car il n’y a peut-être que 124 pages mais elles vous prennent à la gorge. Vous font monter les larmes. Une fois, deux fois, et même trois.
Ça claque dans l’air. Ça ne va pas. On ne peut pas continuer comme ça. Ça claque dans l’air un soir de semaine. Dans la cuisine. On sent la conversation animée. Hyam et son mari vont se coucher sur cette note dissonante. Avec cette pulsation étrange dans le corps.
Nuit noire. Le sommeil perturbé par les pensées mais aussi par ce bruit que fait le corps de son mari. Qu’est-ce qui lui prend ?
Elle cherche l’interrupteur.
Tombe sur le visage de son mari. Livide. Trempé de sueur. Il ne réagit plus. Cœur en panne. Infarctus. Panique.
Fonctionner à l’instinct. Masser sa poitrine. Un-deux. Un-deux. Encore. Puiser dans des forces qu’elle ignorait elle-même avoir. Devenir une machine. Tenir bon jusqu’à l’arrivée des pompiers qui l’emmèneront à l’hôpital. Trente minutes durant lesquelles Hyam Zaytoun tiendra la vie de son compagnon entre ses mains.
Elle vient, elle me serre dans ses bras. Dans notre étreinte fébrile, je sens la force qu’il lui faut pour être là. Lucie a le visage rougi de larmes, creusé par l’inquiétude. Je me dis qu’elle a conduit les mains tremblantes, qu’elle n’a eu de cesse de penser au pire tout au long du chemin. Je le connais, je suis pareille. Une fille inquiète. Une fille capable d’échafauder, en peu de temps, le plan de survie d’un drame non encore advenu.
Commence alors l’attente et l’incertitude. La peur de perdre l’autre, son phare, son amour, son confident. La peur d’être seule avec leurs deux enfants. Elle qui n’est pas certaine d’être une bonne mère. Elle qui semble si tourmentée par la peur de la perte depuis l’enfance. Et puis, il y a ce sentiment d’injustice qui s’immisce, pourquoi lui, pourquoi pas moi ? Lui si fort, sportif, et si bon père. Comment gérer la situation ? Est-ce seulement possible ? Qui prévenir ? Va-t-il survivre ? Ne pas flancher. Maintenir le cap malgré l’attente insoutenable et le déchirement intérieur.
Avec une sensibilité à fleur de peau, une pudeur aussi, Hyam Zaytoun entraîne son lecteur dans cette expérience personnelle, de vie et de mort. Ça nous prend d’emblée aux tripes. Pourtant elle ne cherche pas la compassion, il n’y a pas de pathos dans ces pages, il y a simplement les sentiments. Purs. Celle d’une femme qui perd pied mais reste forte.
Elle se raccroche aux souvenirs. Les lui raconte, assise près de son lit, poussée par l’espoir de le voir se réveiller. Elle se raccroche à la bienveillance de ces proches, des infirmières. Elle se raccroche à tout ce qu’elle peut pour ne pas sombrer. A ce qui fait la lumière, leur lumière.
Oui je me sens soudain si coupable. De ne t’avoir pas protégé, pas assez aimé, pas assez regardé. Si j’avais su, est-ce que j’aurais pu ? Est-ce que l’on s’aime en s’épargnant ? Cette énergie-là, à vouloir toujours imaginer avec toi de nouveaux projets, un nouvel horizon, n’est-ce pas, depuis le début, la façon que j’ai de t’aimer ?
Vigile est ce moment où tout bascule. Où l’essentiel revient en plein visage.
Les mots subtils, saccadés nous emporte telle une tempête soudaine. On l’accompagne dans la terrible épreuve. On espère à ses côtés. On y croit, avec elle. Parfois, sans s’en apercevoir, les pages deviennent humides des larmes que l’on verse.
Vigile est ce coup d’amour porté à l’homme et à la vie. En peu de mots. Presque dans un seul souffle. Combatif et délicat.
Vigile de Hyam Zaytoun
Paru aux éditions du Tripode en janvier 2019