[dropcap]U[/dropcap]n premier roman tient souvent du lance-pierres, ou du cairn gité par la brise d’une plume ne tenant pas en place, prête à livrer l’éclosion minérale de son verbe. Territoire intime soudainement arpenté par qui le souhaite, un premier roman est aussi funambule et traître qu’ouvert aux quatre vents. Peut-être est-ce pour cette raison que Virginie DeChamplain laisse les lieux qui l’ont façonnée tenir la barre de son premier ouvrage, Les Falaises, publié par le phare des bords de côtes littéraires, les éditions La Peuplade…
Je pars. Pas pour toujours, mais je pars. Je suis les femmes devant moi. Je vais à leur recherche. À leur rencontre. Ma grand-mère aventureuse, ma mère vagabonde. Mes insoumises. Je me sauve, dans tous les sens.
Aujourd’hui, Maman est morte.
Cette déclaration à jamais camusienne plane en silence sur les larmes que V. ne parvient pas à verser depuis que dans le creux électronique d’un combiné en plastique on lui a annoncé que le corps de sa mère a été retrouvé sur une plage de sa Gaspésie, rejeté par son fleuve, le grand Saint-Laurent.
Déflagration dans l’épiderme, injonction à regagner les quatre-murs-et-un-toit, ceux qui ont abrité les moments de (sur)vie d’un chœur de femmes aux racines volantes. Après avoir bercé le chagrin ruisselant de sa jeune sœur Ana, après l’avoir maladroitement renvoyée chez elle, après avoir éloigné celles et ceux qui restent – mains froides, cœur chaud – , V. endosse la responsabilité de vider seule la maison.
Et là, entre l’étage aux reliques adolescentes, la troisième marche grinçante de l’escalier orphelin, le salon somnolant et les photos des ailleurs que furent leur existence à toutes les trois, déracinées ensemble, V. chavire.
Comment faire face à un monde qui s’éteint, pareille à une baleine échouée, ne laissant qu’une carcasse d’os polis par le sel, sans plus de traces de ce que fut la vie incarnée dans la chair ?
« ça va r’venir, inquiète-toi pas. Vivre c’est comme le vélo, ça revient toujours. »
Mais que revient-il à celles qui demeurent sur le rivage lorsqu’une s’enfuit sous le sable blanc ? Des souvenirs à rebours, des émotions-boomerang, une gueule de bois spatio-temporelle, un cataclysme du cœur et des entrailles.
Alors, V. regarde l’œil du cyclone en se plongeant dans la lecture des journaux manuscrits de sa grand-mère, cahiers intacts bruissant de ses origines islandaises, témoins intimes d’une ascendance au féminin, portraits d’échappées qui n’ont trouvé de chez-soi qu’à travers le versant nord des mots.
« J’ai l’impression brûlante de découvrir l’histoire pour mieux l’effacer. Son histoire, mon histoire. Celle de tout ce qu’il y a eu avant nous. Je me surprends à chercher l’élément déclencheur. Ce qui l’a fait craquer, fendre sur toute la longueur. »
Inconsciemment encouragée par la douce et sauvage Chloé, poussée par une force indicible, V. va s’autoriser une énième fuite, non pas en avant, mais au-devant des femmes-filantes qui désormais forment sa constellation intérieure.
De la maison familiale aux pistes lunaires de l’Islande, Virginie DeChamplain traduit un voyage aux confins d’un ailleurs qui se cherche ici-bas, à travers un phrasé brut et poétique, mu par une oralité franche et sensible. Sa verve emprunte l’indépendance de ton propre aux lettres québécoises, et transforme une errance nombriliste en une odyssée plurielle, historique et géographique.
Le roman se révèle ainsi quête onirique, récit d’initiation, élégie pour deuil enfui. Et « trouver la falaise » revient soudain à apprivoiser ce vertige intime au bout duquel il nous faut certainement se hisser, au risque de chuter, ou de parvenir à l’équilibre.
Les Falaises prend soin de ses fantômes comme de ses pulsions de vie indomptées, et La Peuplade offre, une fois de plus, une voix singulière, celle de Virginie DeChamplain, aux espaces littéraires francophones.
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Les Falaises
de Virginie DeChamplain
éditions La Peuplade, paru le 27 février 2020
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Photo : Jamieson Gordon / Unsplash