The Waterboys – enfin Mike Scott – et moi c’est une longue histoire. Elle commence en 1988, avec le coup de foudre Fisherman’s Blues (au moment de sa sortie donc), se continue avec la découverte des trois premiers albums, trois œuvres séminales et quasi insurpassables émaillées de sommets (Gala, Red Army Blues, The Pan Within, A girl Called Johnny et j’en passe), puis avec la confirmation Room To Roam (un gros poil en dessous de Fisherman’s tout de même) et enfin les déceptions à répétition (Dream Harder, Book Of Lightning, indignes du talent de Scott). Bon, parfois il arrivait qu’il y ait des soubresauts (quelques morceaux dans An Appointment With Mr Yeats, la quasi totalité de son premier album solo Bring’ Em All In) mais si rares qu’on finissait par désespérer de retrouver un jour Mike Scott en forme olympique. Alors quand il m’a été proposé d’écouter et de chroniquer le futur effort de Mike Scott, j’ai sauté fissa sur l’occasion, histoire de ne pas laisser aux autres chacaux de la rédaction (un regard vers Beach Boy, l’autre vers Davcom) la primeur de l’exclusivité.
Après écoute, je me demande si je n’aurais peut-être pas mieux fait de la leur laisser, l’exclusivité. Non pas que Modern Blues soit mauvais mais bon… disons qu’il est dans la continuité des précédents albums des Waterboys.
Pourtant, naïvement, j’y croyais. Titre malin, clin d’œil à un de leur meilleur album, enregistrement à Nashville dans des conditions proches de celles de Fisherman’s Blues, retour de certaines fines lames (Steve Wickham notamment), ça attire le chaland. Mais… mais… Bob Clearmountain aux manettes, quand on connaît le pédigrée (principal sculpteur de sons des années 80 : le Bowie de Let’s Dance, la plupart des Bryan Adams, tous les Springsteen des années 80 à nos jours-excepté pour Ghost Of Tom Joad, curieusement son meilleur album depuis Nebraska – , c’est lui), ça refroidit direct les ardeurs.
Honnêtement, comme je le disais plus haut, Modern Blues n’est pas mauvais. Il n’est pas bon non plus. Mais, à sa décharge, il contient d’excellents morceaux. Si, si. Deux. Plus une petite poignée de titres corrects.
Disons, pour résumer de façon abrupte, que des arrangements plus judicieux n’auraient pas été superfétatoires. D’emblée, Destinies Entwined donne le ton : morceau enlevé, ambiance western-spaghetti/mariachi fort sympathique sur le refrain mais alors les guitares en lieu et place des cuivres, ça relève de la faute de goût quasi impardonnable. Et ça continue plus loin, toujours sur le même morceau, avec ce solo tout droit sorti du Paul Personne pour les nuls, finissant d’achever le pauvre auditeur qui n’en demandait pas tant. Effrayant, non ?? Et pourtant, Destinies fait partie de la poignée de morceaux corrects. Avec Nearest Things To Hip et Beautiful Now. Le reste, à deux exceptions près, est au mieux sans véritable intérêt (Long Strange Golden Road a l’avantage de réunir deux passions chez Scott : Dylan et Springsteen. Autrement le morceau est bon mais, comme tout le disque, bénéficie d’une production clinquante et sans nuances) ou mauvais (le très gras Still A Freak et l’artériosclérosant Rosalind -très gras mais à un niveau supérieur encore si c’est possible-) ou raté de peu (The Girl Who …aurait très bien pu figurer dans les excellentes chansons de Modern Blues s’il ne bénéficiait pas de choeurs atroces et d’une ligne de piano ridicule).
Heureusement, il reste deux très bons morceaux, pouvant faire croire que la muse de Scott ne s’est pas complètement fait la malle : le léger et mélancolique November Tale et surtout le curieux, très drôle et surréaliste I Can See Elvis. Mélange improbable des choeurs façon choriste de Presley en concert et du Miracle Of Love de Eurythmics, dans lequel Scott semble partir en vrille et vraiment s’amuser. Surprenant et au final accrocheur.
Vous direz, deux morceaux c’est déjà ça, mais au regard du talent du bonhomme et de l’ambition affichée avec ce disque (ni plus ni moins retrouver l’excellence de Fisherman’s Blues), Modern Blues est une belle déception, une de plus. La faute en revenant en partie à Scott : ce choix de vouloir faire un disque de blues « moderne » est extrêmement casse-gueule (le seul à être parvenu à faire un disque de blues digne ces vingt dernières années est Jeffrey Lee Pierce, suivi de près par les premiers efforts du français Red), le principal écueil (non évité malheureusement) étant de sonner comme un vieux blanc voulant jouer son idée du blues (regards vers Gary Moore, Clapton, etc…) et le pari est loin d’être réussi donc. Mais il reste surtout imputable au producteur n’ayant pas su s’adapter aux exigences de Scott (faire un disque de blues, spontané), ni lui laisser une certaine liberté. On retrouve donc dans Modern Blues les automatismes de Clearmountain : gros son, batterie omniprésente,claviers pseudo-vintages, subtilité aux abonné absent, lissage et manque d’aspérité à tous les étages; bref, une production estampillée eighties, très Clearmountain quoi.
Autrement dit, et on s’en serait bien passé, dans le combat d’égo qui vient d’avoir lieu à travers Modern Blues, je suis au regret de vous apprendre que, malgré tous les efforts produits, Mike Scott a paumé. Dommage.
Sortie le 19 janvier 2015 chez Kobalt, en vente ici ou chez tous les dealers musicaux habituels.