[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#2d93c2″]L[/mks_dropcap]e grand manège allénien est donc reparti pour un nouveau tour. C’est toujours un peu la même attraction que viennent admirer les spectateurs. Ils veulent savoir où les mènera cette fois le vieux maître dans ses jeux de l’amour et du hasard, où plutôt de la fatalité, puisque ce sont les mannes d’Ananké, personnification de la destinée souvent malheureuse chez les grecs anciens qu’invoque Mickey (Justin Timberlake), l’un des quatre personnages principaux.
Dans un Coney Island fifties de carte postale (la polychromie du directeur de la photographie Vittorio Storaro est resplendissante), Carolina (Juno Temple) vient trouver refuge chez son père, qu’elle a désespéré quelques années plus tôt en épousant un gangster, rital comme il se doit.
Le malfrat a lancé ses hommes de main aux trousses de la jeune femme dont la langue trop bien pendue a révélé quelques-unes de ses activités à la police new-yorkaise.
La cohabitation avec Ginny (Kate Winslet), la nouvelle épouse du père de la jeune femme (Jim Belushi), dans un appartement modeste implanté dans le parc d’attraction où travaillent les membres de cette famille véritablement recomposée va s’avérer bien problématique.
Bien sûr, le nouveau tour de passe-passe du grand amateur de magie qu’est Woody Allen, qui consiste à mêler en permanence, afin de créer un effet de contraste qu’il veut saisissant, décors chatoyants et classe laborieuse, joies des jeux forains et affres des joutes sentimentales n’est pas des plus subtils.
Le cinéaste prend un malin plaisir à plonger ses personnages au plus profond des maux sociaux éternels : dépendance à la bouteille que, malgré les efforts de Ginny, ni elle ni son mari ne parviennent à vaincre, finances toujours trop justes qui imposent des choix humains cornéliens, impossibilité à assumer de manière satisfaisante l’éducation de sa progéniture, incarnée ici par un jeune garçon pyromane totalement imperméable à toute tentative de persuasion ou de soins.
Si l’on y ajoute la mort qui rôde, l’impasse fondamentale des échappées amoureuses puisque, comme dans tout Woody movie qui se respecte, deux personnages qui se connaissent en aiment un troisième qui joue les indécis et vont se découvrir concurrents, et la veulerie en cerise sur le gâteau, la barque paraît décidément bien chargée.
L’amour n’est pas un moyen d’enjoliver l’existence, il n’est que source de trahisons et d’exacerbation des détestations. La merveilleuse grande roue n’est en réalité qu’un cercle vicieux dont les passagers ne pourront s’échapper par le désespoir, les paradis artificiels ou la grande faucheuse.
Rarement la vision pessimiste, pour ne pas dire nihiliste, de la vie qui celle du vieux new-yorkais n’aura été aussi perceptible qu’à la vision de son nouveau film.
Cette fois-ci, elle n’est pas tempérée par son humour habituel. La polémique née des nouvelles révélations sur son comportement en privé a jeté un voile sombre supplémentaire sur Wonder Wheel, que certains spectateurs potentiels ont refusé, par principe, de visionner.
Reste que, par la force de ses acteurs (Timberlake est assez lisse, mais le couple Belushi–Winslet est fort et touchant) et du caractère implacable du mécanisme allénien encore à l’œuvre, cette tragédie grecque moderne, qui dispose même de son chœur de récitants en la personne unique du narrateur Mickey, enchante un peu, et émeut finalement beaucoup.