[dropcap]Y[/dropcap]ahya Hassan a la particularité rare de placer le lecteur face à ses propres contradictions. Ceux qui ont acclamé ses poèmes abrupts et affilés ont souvent été choqués par ses pérégrinations criminelles. Ce dont on l’a nanti en l’érigeant en Rimbaud danois, on le lui a retiré, presque instantanément, dès lors qu’il s’est agi de commenter ses chroniques judiciaires. Il est pourtant difficile de séparer l’œuvre de l’homme, en ce sens qu’elle est autobiographique et que les deux puisent leur force d’une même violence désabusée. Ce jeune Danois né de réfugiés palestiniens ne fait en effet que narrer, en majuscule et sans ponctuation, les nombreuses épreuves qui l’ont accablé : la pauvreté, des parents destructeurs, les camps de rétention, le fondamentalisme religieux, le racisme, la criminalité… Marion Mazauric, la fondatrice et directrice des éditions Au Diable Vauvert, ne s’y trompe pas en affirmant, après sa mort prématurée à 25 ans : « Il était un poète authentique d’une force incroyable. Chacun de ses mots était trempé dans la misère et la violence de ses origines, la douleur et la révolte. Et l’exigence de dire, tout et sans entrave. »
J’ai dépensé tout mon argent de poche en clopes, j’ai volé des bonbons, des sodas et de l’alcool. Je me suis battu avec mes congénères l’un après l’autre. Ils en ont eu assez et se sont ligués contre moi.
Yahya Hassan
Le fait est que Yahya Hassan s’est distingué d’une manière des plus duales : en vendant au Danemark 130 000 exemplaires d’un recueil de poèmes qui fut par ailleurs traduit en douze langues ; en répondant, lors d’un vaste procès tenu en 2016, à 35 chefs d’accusation allant de l’infraction au code de la route à l’outrage à agent public en passant par le vol ou la mise en danger d’autrui. Ses poèmes ont ceci de commun avec les textes de rap qu’ils rapportent des expériences vécues douloureuses, voire traumatiques, dans un style direct, sans ambages ni préciosité. Yahya Hassan est un porte-parole officieux de la première génération d’immigrés au Danemark. Et celui qui affirmait en 2013, dans le quotidien de gauche Politiken, appartenir à « une génération d’orphelins » n’hésite pas à jeter en pâture des pans entiers de sa vie : ses cambriolages, les fraudes aux prestations sociales, la maltraitance subie de la part d’un père agressif, l’indigence à Vestre ou ailleurs, les séjours en institution pour jeunes délinquants, la drogue, une relation charnelle avec une professeure de littérature…
Albert Londres invitait en son temps les correspondants de guerre à porter la plume dans la plaie. Dans un registre certes fort différent, Yahya Hassan s’astreint exactement au même exercice : en vers et contre tous, il rhabille, avec des sentences acrimonieuses, voire incendiaires, tous ceux qui ont été les incubateurs d’un courroux tenace : sa famille, sa religion, les institutions danoises, sa société d’accueil, la vie en général dès lors qu’on n’a pas la chance d’être riche ou de la bonne couleur de peau. Cette colère s’est parfois extériorisée de manière un peu vaine : le poète danois a posé avec un couteau, du haschisch ou même des munitions, quand il n’était pas occupé à provoquer et insulter les gangs locaux. Mais, et c’est là le plus important, elle a aussi donné lieu, comme dans ce recueil éponyme, à des textes confondants d’authenticité et de puissance. Yahya Hassan verbalise ce que tant d’autres n’ont d’autre choix que de taire. Il identifie un malaise, pluriel et prégnant. Il raconte à quel point le sentiment d’abandon peut devenir une seconde nature, quand la famille troque l’amour pour la maltraitance, et quand les institutions n’ont à apporter à des jeunes déracinés (ou se sentant comme tels) que des solutions de répression aussi provisoires que non constructives. Au fond, Yahya Hassan a été un cri, de douleurs et de dépit. Il s’agit d’en saisir la portée avant qu’il ne s’évanouisse à jamais.
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Yahya Hassan de Yahya Hassan
traduit par Catherine Renaud
Au Diable Vauvert, 5 novembre 2020
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Image bandeau : adege (Pixabay)