[dropcap]V[/dropcap]ous allez me railler, j’en suis intimement convaincu. J’entends déjà les murmures me taxant d’obsédé incurable. Vous avez d’ailleurs raison concernant mon fanatisme. J’aime les chanteuses jouant avec les nuances de noir, quitte à ce que l’on me traite d’indécrottable adorateur de sorcières.
En 2017, je vous avais brossé ici-même mon engouement pour Okovi, dernier album en date de la druidesse Zola Jesus. A cette occasion, j’exprimais un ressenti palpable, celui d’une jeune femme transcendant la douleur pour la revêtir d’une unité de ton étrangement resplendissante. L’œuvre en question se présentait alors au titre d’une progression artistique plus moderne, plus travaillée et sans aucun doute de plus en plus « abordable ». Conatus sorti en 2011 avait déjà amorcé la mutation mêlant au lyrisme de l’intéressée, une production plus fulgurante mais n’oubliant pas la part de mysticisme voilé propre à l’ADN de Nika Roza Danilova.
Après cinq années de silence, Zola Jesus marque de façon étourdissante son retour. Arkhon trouve sa signification linguistique dans la thématique de puissance. Dans la Grèce antique, les archontes étaient des dirigeants politiques. Par cette évocation, c’est l’aspect contemporain de domination du monde par la corruption qui est pointé du doigt. Si l’évocation générale est lourde de sens, la mise en œuvre fut inversement soumise à une philosophie de maitrise partagée. Une fois n’est pas coutume, Nika Roza Danilova s’autorise à lâcher prise. L’offrande est alors la résultante d’un processus impulsif où vient ajouter du piment, avec une vivante adjonction, Matthew Chamberlain, batteur dont la renommée et le talent se posent sur une liste de collaborations relativement fournie. Au niveau de la production, c’est Randall Dunn qui s’y colle avec sa façon bien personnelle de transformer la matière brute en esthétique consistante. De cette approche, il ressort du nouvel album une vision précise au bénéfice de combinaisons d’humeurs aussi bien tendues que fragiles voire épiques. Pour autant, à la sortie de l’écoute, ce qui frappe sans doute le plus, c’est l’unité sonore, charriée par une expérience prééminente n’éclipsant nullement la sensation d’impétuosité.
Au cœur de la carcasse, il y a un style fait d’aisance et de dureté. Nika Roza Danilova n’a sans doute jamais chanté aussi bien, non pour remporter le concours de cantatrice du siècle, bien plus afin de conférer à ses mots une sensible interprétation, celle qui découle des douleurs de la frustration face au tableau peu reluisant de la sphère qui s’agite dans le sens contraire de la bienveillance.
C’est un cri qui surgit de Lost dont les dédales de la perdition se tendent à la lueur des battements tribaux d’une entame où la meute semble s’essouffler. Les vibrations sont écrasantes, la rythmique au bord des incantations chamaniques. Dans la continuité, The Fall affirme la profondeur d’un piano enfoui dans les graves. Les éclaboussures hurlent au gré d’une mécanique mystique, synthétique et charnelle… Si vous n’êtes pas encore à genoux, les vocalises d’Undertow vous serviront une pop revêtant ses allures gothiques au soutien d’une amplitude folle… Jusqu’à plus soif, Dead And Gone flirte au bon plaisir d’une orchestration emphatique, idéalement gonflée de résonances indus… Bref, la messe est dite mais l’office ne peut mourir sur l’autel des lamentations.
A mon sens, l’apothéose d’Arkhon se niche dans la robustesse de Sewn. Vous y plongerez comme les pyromanes s’immiscent dans leur propre turpitude, léchés de milliers de flammes envoutantes. La noirceur y est ardente et le final nous abandonne avec fracas sous un amas de cendres. C’est sans nul doute pour mieux nous cueillir, plus concrètement à la grâce des afflictions douces de Desire. L’interprète s’y livre comme jamais, avec seul son piano comme compagnon de fortune. Le frisson après les brulures qui précèdent n’en est que plus redoutable ! Les roulements pantagruéliques de Fault achèvent l’hyperbole dantesque. A l’image de l’étreinte concédée en plein capharnaüm, Nika Roza Danilova, à travers son double Zola Jesus, ose l’incandescence électronique. Elle y puise le magma en fusion, à la fois vulnérable et brulant. Tel le Phénix, espérons que, de cette matière, la nature pourra renaitre.
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Arkhon – Zola Jesus
Sacred Bones Records – 24/06/2022
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Image bandeau : Shervin Lainez