Certains épisodes de l’histoire de l’Amérique du sud, et notamment l’histoire des indigènes écartelés entre les intérêts divergents des Européens à la conquête du nouveau monde, sont trop souvent méconnus ou oubliés. Dans The Mission, film remarquable sorti en 1986 et pour lequel il reçut la Palme d’or au Festival de Cannes, Roland Joffé met en scène les drames de la colonisation à travers l’histoire d’un missionnaire jésuite idéaliste. Et si l’on peut critiquer le réalisateur d’avoir choisi de dénoncer ici les massacres perpétrés par le pouvoir colonial, en omettant l’évangélisation forcée, guère plus glorieuse, il faut malgré ce reconnaître que Joffé nous livre un film remarquable d’intensité et d’humanisme, qui mérite vraiment d’être découvert.
Au milieu du XVIIIème siècle, les empires espagnol et portugais s’étendent jusqu’à ces contrées lointaines, encore largement inexplorées. Dans une région sauvage et luxuriante aux confins du Paraguay, de l’Argentine et du Brésil, vivent les indiens Guaranis, un peuple pacifique qui vit au rythme de la nature et des saisons. C’est là que vient s’installer une communauté de jésuites menée par Frère Gabriel, un prêtre plein de bonté, courageux et idéaliste (inoubliable Jeremy Irons), venu évangéliser ces êtres considérés comme des « sauvages » par l’homme blanc. Si la tâche s’avère extrêmement dangereuse et l’approche difficile, ce virtuose du hautbois parvient étonnement à se faire accepter grâce à la musique. Étrange méthode, mais efficace, les Guaranis se convertissant peu à peu à la religion catholique, à laquelle ils vouent une confiance et une dévotion absolues.
Le Frère Gabriel est bientôt rejoint par Rodrigo Mendoza (étonnant Robert de Niro), un mercenaire sans foi ni loi, marchand d’esclaves sans scrupule. Car l’Espagne et le Portugal, qui règnent en maîtres dans cette région et sèment la terreur, ont mis sur pied un trafic d’esclaves afin de fournir de la main d’œuvre à bon marché aux colons de la région. Après avoir tué son frère, Mendoza, rongé par la culpabilité et qui cherche la rédemption, se convertit et suit le Frère Gabriel dans sa mission.
La vie s’organise peu à peu, Indiens et Jésuites parvenant à vivre en harmonie et même au-delà des espérances de l’Église dans les missions disséminées dans toute la région. Lors d’une visite, le Cardinal Altamirano (Ray McAnallyest), est fortement impressionné par la qualité de développement et de vie qu’il y découvre. Cependant, à la suite de pourparlers avec le Portugal, l’Espagne décide de rappeler les Jésuites. Sur les ordres du Pape et sous la pression des portugais, le Cardinal Altamirano renonce malgré lui à défendre leur cause. Mais les Jésuites refusent d’abandonner les indiens et leurs missions…
Il faut voir et revoir cette fresque majestueuse qui est certainement la plus grande réussite de Roland Joffé et qui pose un regard sans concession sur cette période terrible de l’histoire.
Car tous les ingrédients sont réunis ici pour faire de ce film un chef d’œuvre : des paysages à couper le souffle, des décors grandioses et vertigineux et une photographie magnifique, pour laquelle le film remporta un oscar. Un casting parfait de A à Z, Jeremy Irons trouvant ici son plus beau rôle selon moi, et Robert de Niro campant magistralement ce personnage de brute épaisse repentie. Un scénario remarquable et des personnages parfaitement incarnés, des scènes bouleversantes qui prennent aux tripes et vous arracheront des larmes. Une histoire profondément humaniste, nécessaire, portée par la musique envoûtante et qui vous donne le frisson de l’immense Ennio Morricone, qui ne peut en aucun cas laisser indifférent.
En bref, si ce n’est déjà fait, je vous invite à découvrir ce film inoubliable, chef d’œuvre incontestable, de toute urgence : ces visages d’enfants innocents, éperdus de musique et d’amour pour Dieu, et le son du hautbois de Frère Gabriel, devraient vous hanter longtemps.
Et donc, Votre sainteté… vos prêtres sont morts… et moi… vivant. Mais à la vérité, c’est moi qui suis mort… tandis qu’ils sont vivants. Car il en va toujours ainsi, Votre sainteté. L’esprit des morts survit… dans la mémoire des vivants.