Jeudi 25 mai 2017
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]annes est à la croisée des mondes : les équipes et les spectateurs, les critiques et le grand public, les stars et les badauds. C’est une plaque tectonique sur laquelle rentrent en collision des mondes généralement clos, dans une effervescence provisoire à la saveur unique.
Cette affirmation est également vraie sur sa temporalité. Le Festival ne dort jamais, et pour le super-héros qui pourrait se passer de sommeil, offre une activité permanente.
Au critique chevronné qui quitte sa cahute à l’aube pour rejoindre la projection de 8h30, Cannes offre un spectacle inédit, une parenthèse grise, un 5 à 7 singulier.
La chaussée luisante efface les traces de la veille, et les robes longues cèdent la place aux gilets orange. On s’affaire, on réajuste une pelouse, on remet du terreau, on répare une bannière.
Les plages elles-mêmes sont ratissées, tandis que des quidams les sondent au détecteur de métaux, à la recherche de ce que les riches auraient pu y laisser par inadvertance.
La Croisette presque déserte sillonnée par quelques téméraires joggeurs rappelle qu’une vie réelle subsiste dans le temple du prestige éphémère. Les molosses de la sécurité cèdent le passage aux livreurs des fûts qui seront vidés dans la journée.
La grisaille du matin retient la fraîcheur de la nuit ; les rideaux de fer sont baissés sur les kiosques.
Les écrans publicitaires ne s’arrêtent jamais, déversant en boucle, sur une avenue vide et rincée, un déluge stérile de pixels.
Dans une rue adjacente, une femme en robe noire tient ses chaussures à la main, Cendrillon défraîchie et perdue ; elle demande en anglais son chemin aux éboueurs.
La ville somnole, et charrie un apaisant silence ; la chanson éternelle des lieux reprend ses droits : la brise légère, le ressac délicat des vagues, le cri lointain des mouettes.
L’arrivée au Palais se fait sans encombre, entre la rangée métallique des escabeaux vides placés pour les selfies addicts et un vendeur ambulant pour Libération.
Devant les portiques, les vigiles luttent comme des enfants tandis qu’à l’arrière-plan, on passe un dernier coup d’aspirateur sur les marches écarlates.
Un rayon perce la brume. Il est 7h30. Les barrières s’ouvrent.
C’est reparti pour une journée sous le feu des spotlights.
Les séances du jour :
Good Time
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]U[/mks_dropcap]n braquage qui tourne mal… Connie réussit à s’enfuir mais son frère Nick est arrêté.
Alors que Connie tente de réunir la caution pour libérer son frère, une autre option s’offre à lui : le faire évader.
Commence alors dans les bas-fonds de New York, une longue nuit sous adrénaline.
Enfin ? Le premier quart d’heure de Good Time draine un flot d’excitation, une pulsation portée par la musique de Oneohtrix Point Never qui présage du meilleur. Enfin, se dit-on, une œuvre forte, un souffle, une énergie. Des frères Safdie, on est en droit d’attendre le meilleur, tant leurs précédents films ont su capter l’authenticité de la rue et la fragilité des êtres. Cette incursion sur les terres du thriller, sur le modèle d’Un après-midi de chien, ménage donc quelques surprises. Le scénario multiplie les twists dans une cavale fondée avant tout sur les détours et l’improvisation, les opportunités et, surtout, les ratages.
Las : la promesse ne dure qu’un temps. Good Time n’est pas un mauvais film, pour peu qu’on le délaisse d’ambition et qu’on le limite au cahier des charges de sa catégorie. Ce qui, en Compétition Officielle, est tout de même assez frustrant.
Bushwick
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n sortant du métro dans Bushwick, un quartier de Brooklyn, pour aller chez sa grand-mère avec son nouveau petit-ami, Lucy se retrouve au beau milieu d’un véritable bain de sang. Des milices ont envahi New York pour en faire leur base d’opérations sur la côte Est. Dans ce chaos, Lucy tente d’éviter les balles perdues et se réfugie dans un sous-sol, où elle rencontre Stupe, un colosse qui est aussi ancien combattant. Ce dernier l’aide, à contrecœur, à parcourir les cinq blocs de Bushwick jusqu’à la maison de sa grand-mère… en supposant que celle-ci existe toujours.
La Quinzaine aussi fait dans le Netflix, et l’assemblée se frottait un peu les yeux au sortir de la salle en se demandant ce que pouvait faire cette production dans une section aussi exigeante. Bushwick s’abrite derrière un unique paravent, celui du plan séquence, puisque le film se divise entre très longs segments, d’une grande fluidité, parfois virtuoses, certes, mais qui sont loin d’être une fin en soi. Le film n’est ainsi qu’un vulgaire FPS, dont la linéarité désole un peu, appesantie par des dialogues navrants et un humour inefficace. On s’amusera de constater que 93 minutes de rafales de mitraillettes, vols d’hélicoptères et explosions en tous genres n’empêche pas pour autant l’assoupissement de l’assemblée.
https://www.youtube.com/watch?v=Ddl6sHa48Zk
BULHANDANG (Sans Pitié)
Hors-Compétition – Séance de Minuit.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J[/mks_dropcap]ae-ho, chef de gang, fait la loi en prison auprès des autres détenus.
Mais son autorité est remise en cause à l’arrivée de Hyun-soo, un nouveau venu.
Autant le plaisir coupable de la Quinzaine (Bushwick) faisait peine à voir, autant la séance de minuit sort plutôt honorée par la projection de ce BULHANDANG. Dans la plus pure tradition du polar coréen, le film combine une mise en scène classieuse et un scénario à tiroirs, variation autour du thème de l’infiltration et trahisons multiples. Le rythme est enlevé, malgré de menues longueurs, et les scènes d’action sont autant de moments de bravoure durant lesquels le réalisateur prouve ses capacités formelles. La caméra expérimente tous les angles, d’un esthétique Go-Pro à des plans-séquences tarabiscotés, la narration navigue avec malice entre les temporalités pour jouer des révélations au compte-goutte (avec un emprunt à Reservoir Dogs qui affirme clairement l’une des influences de BYUN Sung-Hyun) …tout ceci avec une absence de trop grand sérieux qui confirme l’objectif du réalisateur : nous convier à son plaisir.
L’Amant Double
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]hloé, une jeune femme fragile, tombe amoureuse de son psychothérapeute, Paul.
Quelques mois plus tard, ils s’installent ensemble, mais elle découvre que son amant lui a caché une partie de son identité.
Un peu d’audace pour secouer le festivalier de sa torpeur : Ozon arrive à point nommé. Très éloigné des opus précédents, L’Amant Double joue la carte du thriller psychologique, et commence de façon magistrale : le cadre, les petits artifices pour restituer les dialogues de la session de thérapie, l’osmose à la très belle musique de Philippe ROMBI suscitent d’emblée la fascination. La manière dont le cinéaste pose son sujet, la sublime Marine Vatch au milieu des œuvres contemporaines les plus singulières guide notre regard et nous invite à lâcher prise. Le raccord assez provocateur du premier plan (on vous laissera la surprise, mais il a suscité applaudissements et éclats de rire lors de la projection de presse) ne disait pas autre chose.
Il faut donc se laisser aller : les excès de la seconde partie, qui va prendre les rails d’un cauchemar éveillé, ajoutent en excitation narrative ce que le film perd un peu en majesté. Ozon joue à De Palma, on pense aussi au Black Swann de Darren Aronofsky, et le grotesque de certains traits est souvent assez amusant. Même l’usine à fantasme qui fait dévier le porno chic vers du pervers choc passe sous le filtre de cette distance. L’amant double, tout en chausse-trappes, est un prétexte (comme l’était Mise à mort du cerf sacré) à une navigation fictionnelle en eaux troubles malicieuse et retorse.
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