[dropcap]I[/dropcap]l est courant que la vox populi ne retienne des superstars qu’un trait, un stéréotype voire une caricature. Mais on peut avoir le sentiment que peu d’artistes se seront finalement escrimés, consciemment ou non, autant que Paul David Hewson dit Bono Vox, dit Bono à faire correspondre leur vie avec l’image que le public a d’eux. L’irlandais incarne en effet à merveille le personnage du jeune idéaliste révolté et engagé devenu, le temps passant, une vieille barbe pontifiante et sentencieuse. Ce cliché a la peau dure, mais il coexiste avec l’œuvre d’un musicien dont l’importance dans le rock du 20e siècle ne doit pas être sous-estimée.
Bono le chanteur, c’est à la tête de U2 que ça se passe. D’ailleurs, contrairement à la quasi-totalité des grands leaders de musique populaire, il n’a jamais affiché de velléités de tenter une carrière en solitaire en parallèle de celle menée au sein de son groupe. Pas de Bono solo donc, ce qui signe un attachement indéfectible au gang de son adolescence. Ses étincelles créatrices, il les réserve donc dès l’origine à Larry Mullen, Adam Clayton et The Edge. Une fidélité à toute épreuve, à l’égal de son mariage avec Alison Stewart qui dure depuis 1982.
Brièvement dénommé The Hype, le groupe prend définitivement le nom de l’avion américain en 1978. Bono n’a pas encore 18 ans. Très vite, l’alchimie opère entre la technique singulière et les effets guitaristiques de The Edge, et les vocalises enflammées de Hewson. Il serait trop long et fastidieux d’énumérer à titre de comparaison les binômes de songwriters chanteur-guitariste qui ont fourni au rock le carburant de sa marche en avant.
Les années qui suivent vont consacrer l’irrésistible ascension des quatre jeunes gens de Dublin. La trilogie des débuts : Boy en 1980, October en 1982 et War en 1983, est un choc pour beaucoup de jeunes gens modernes de l’époque. Pour eux, à ce moment-là, le futur, voire le présent du rock, c’est U2. Les pochettes représentant un jeune garçon au visage expressif, innocent sur Boy et inquiétant sur War, apportent une image forte. Bono est évidemment vite propulsé sur le devant de la scène, et devient une conscience sociale (Sunday Bloody Sunday) et humanitaire, prenant alors toute sa part au Band Aid pour l’Éthiopie, aux côtés de Bob Geldof.
Le succès ne se dément pas avec The Unforgettable Fire en 1984 et The Joshua Tree en 1987. Après New Year’s Day, les puissants et entêtants Pride, The Unforgettable Fire, Where The Streets Have No Name, With Or Without You et I Still Haven’t Found What I’m Looking For rencontrent l’adhésion du public et font accéder le chanteur au statut de star de la pop culture internationale. La musique de U2, et le chant de Bono en particulier, changent et mûrissent.
L’acmé de cette reconnaissance publique, musicale et médiatique, c’est Achtung Baby en 1991 avec Brian Eno et Daniel Lanois et la chanson One, à la forte charge émotionnelle même si l’emphase tire-larmes pointe. U2 incorpore à son répertoire des éléments très divers, y compris électroniques. Les critiques sont élogieuses, et renforcent Bono dans son statut de boss du rock game, avec quelques autres.
Mais le Capitole est proche de la roche tarpéienne, et les albums qui suivront cette apogée verront le groupe incapable de maintenir ce niveau créatif. Les disques qui suivront l’expérimental Zooropa en 1993 se verront reprocher, souvent plus par le public que par la critique dans son ensemble d’ailleurs, leur syncrétisme vain, leur absence de flamme et/ou leur suffisance. La polémique liée à la mise à disposition gratuite de Songs Of Innocence sur ITunes en 2014, assimilée à une pratique commerciale agressive et à une collaboration trop franche avec une firme surpuissante, ternit encore un peu l’image déjà écornée du rocker intègre au grand cœur.
L’étoile de Bono Vox a donc pâli, et le prêcheur ayant quelque peu trahi les idéaux de sa fougueuse jeunesse tend à prendre le pas sur le brillant chanteur auteur compositeur dans l’inconscient collectif.
Alors qu’il devient aujourd’hui sexagénaire, il ne faudrait toutefois pas oublier l’apport du dublinois au patrimoine rock international. Les passages radio des tubes qu’il a écrits sont là pour le rappeler à notre bon souvenir.