[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]I[/mks_dropcap]l faisait beau ce jour-là à Dallas, Texas.
La foule agglutinée sur les trottoirs et jusqu’au pied de l’avion présidentiel attendait ses monarques. La belle Jackie et le si beau et si jeune « Jack » ainsi qu’on le surnommait affectueusement. John Kennedy avait le sourire immaculé et étincelant, le symbole du renouveau américain et de l’espoir, cette génération au nouveau souffle qui voulait décrocher la lune, mettre fin à la ségrégation, imposer au monde les figures héroïques de l’american way of life contre l’austérité soviétique.
En coulisses, on s’activait déjà pour sa réélection de 1964 qui s’annonçait bien. Oubliée la baie des cochons, la crise des missiles réglée. Au Vietnam, on envoyait de plus en plus d’instructeurs dans la préparation d’une guerre qui ne disait pas encore son nom, et qui serait un désastre. Les croisades anti-mafia de Bobby Kennedy, fidèle bras droit de son frère et attorney general, suivaient leur cours.
Il y avait un vent d’optimisme, les réponses semblaient soufflées dans le vent et l’idéalisme des sixties semblait avoir trouvé son incarnation dans ce fringuant président, longtemps le plus cool ayant incarné sa fonction (avant Obama). Même si la réalité de cet homme s’avéra beaucoup plus trouble que sa légende, ses opinions plus ambiguës et son action plus discutable. Même s’il n’était pas lui-même non plus un parangon de vertu, qu’il était perclus des douleurs dont la maladie d’Addison l’assaillait et que sa belle figure n’était qu’une façade. On voulait croire à la légende qui, à imprimer, est toujours plus belle que la réalité.
Ils descendent de l’avion. Jackie est en tailleur rose. Elle sourit gracieusement, à l’image de ce rôle élégant qu’elle a endossé avec enthousiasme depuis qu’elle a investi la Maison Blanche (et qu’elle a contribué à sa rénovation et à sa décoration). Jack lui emboîte le pas, détendu, radieux, chaleureux. Généreux. Quand on les voit filmés, on ne peut s’empêcher de les aimer. Ils sont charmants. Ils sont irrésistibles. Ils sont de ce présent-là.
Ils montent dans la décapotable, en compagnie de Lyndon Johnson, le vice-président et populaire dans son état texan. Ils défilent dans les rues au pas, encadrés de motards. Ils saluent les badauds extatiques et les drapeaux américains qui s’agitent. Ils arrivent sur le terre plein, près du dépôt de livres dans cette atmosphère de liesse.
Jack porte les mains à sa gorge. Jackie se penche vers lui, interrogative et dans la stupeur d’une question inquiète. Il tente de se pencher en avant pour se mettre à l’abri. Il en est empêché par le corset qui lui immobilise le dos pour le préserver des douleurs. Un deuxième coup de feu. La tête du président est touchée. Le tailleur rose de Jackie est maculé de sang. La scène est effroyable, même capturée de loin par un vidéaste amateur. Jackie est prise de panique. Elle tente de s’extirper de la voiture par le coffre. Enfin on accélère.
Cette scène a fait basculer les années soixante dans une saison de violence, de guerre, d’assassinats et de contestations. De l’innocence d’un rêve américain revivifié par ce jeune président, à la réalité violente d’un pays beaucoup plus divisé, beaucoup plus âpre que ne le laissait entendre la une des magazines. C’est cela l’assassinat de Kennedy.
On pose sans cesse depuis la question de l’identité de son tueur, est-ce Lee Harvey Oswald, un complot qui engloberait la mafia, le FBI de J. Edgar Hoover et Cuba? On ne le saura sans doute jamais vraiment.
Mais le fait qu’on se pose encore la question avec autant de force, le fait qu’un type comme moi, né quinze ans après, puisse encore fidèlement vous raconter la scène, suffit à prouver son caractère symbolique, fondateur de notre modernité.