[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#e69553″]F[/mks_dropcap]raîchement auréolé du jeune Prix Vendredi (deuxième édition de ce premier prix national de littérature adolescente), le livre illustré de Nicolas de Crécy, Les Amours d’un Fantôme en Temps de Guerre, succède à la grandiose Anne-Laure Bondoux, et nous offre la première incursion du dessinateur dans le roman.
Quatre-vingt-neuf ans et un modeste drap blanc. Un portrait bref, presque fugitif de notre jeune héros dont les amours et autres aventures nous sont contées délicatement, à la manière d’une pelote déroulée dans le silence d’un feu de cheminée éteint.
Petit fantôme domestique (comprenez par là, fantôme lié à une maison), notre pâle narrateur se retrouve orphelin dès l’âge de quinze ans, sans autre forme d’explication que la disparition inopinée de ses deux parents au retour d’une de ses premières escapades nocturnes. Rapidement pris sous l’étoffe de Boris, un cousin de sa mère, il va devoir apprendre aux côtés de la ravissante et diaphane Lili à hanter une maison de village.
[mks_pullquote align= »left » width= »250″ size= »22″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#e69553″]Une première fois romanesque pour un auteur est toujours une histoire d’amour. Et c’est bien de ce sentiment dont il est question ici, l’amour de tout être vivant pour un autre (fantôme, animal, humain…).[/mks_pullquote]
Sa formation sera malheureusement de courte durée : la guerre personnifiée par l’émergence des Fantômes Acides et leurs rapts faisant trembler le monde des revenants. D’errances sifflantes en refuges branlants, notre vaillant ectoplasme réalisera pourtant un peu tard la teneur mortifère de l’hostilité ambiante et ne pourra éviter quelques drames.
C’est ce qui le conduira à entrer dans la Résistance, pour infiltrer et faire tomber l’élite acide se plaisant à défigurer le monde des Drapés.
Nous aurions pu songer qu’un tel tapage aurait interpellé des humains à l’écoute… Cependant quelques années après ces évènements, notre spectre au cœur battant découvre avec une stupeur livide que les Hommes ont aussi cédé à l’effroyable.
« Commença alors cette période, au goût amer d’anesthésie, où je voyais la guerre humaine se dérouler sous la forme d’un interminable songe sanglant ; la violence des hommes, échelonnée sur plusieurs années, allait crescendo, au-delà de ce que leurs précurseurs, les Fantômes Acides, avaient pu mettre en place. Les principes étaient les mêmes, mais les humains allaient plus loin, plus fort, avec cette étrange détermination dans l’œuvre d’anéantissement ultime. »
Au cœur de ces ténèbres grandissant, il tombera amoureux d’une certaine demoiselle dans une maison cachée, trop vite découverte par des Humains Acides. C’est d’elle qu’il s’inspirera en décidant de confier au papier le journal mental de son existence en tant qu’émanation. Désormais réduit au vagabondage solitaire, il assiste à une histoire, la sienne et l’Autre, qui se répète…
Une première fois romanesque pour un auteur est toujours une histoire d’amour. Et c’est bien de ce sentiment dont il est question ici, l’amour au sens le plus vaste du terme, tout en hauteur et nécessaire, l’amour de tout être vivant pour un autre (fantôme, animal, humain…).
Nicolas de Crécy semble d’ailleurs poursuivre avec cette fable faussement naïve, une obsession plus intime, celle, peut-être, du flirt passionné entre le texte et l’image. Abandonnant une illustration au strict service du dialogue, Nicolas de Crécy livre d’un côté une écriture sensible, aérienne, et de l’autre des planches muettes aux échos aussi nombreux que les traits vifs qui les composent. Des décors très travaillés, des états d’âme murmurés, des couleurs vaporeuses, et des lavis d’émotions qui débordent… plume et crayon se nourrissent l’un et l’autre, s’accompagnent, tout en conservant la singularité propre à leur type d’expression.
Bien sûr, derrière la poésie des spectres et leur immaculée condition, il y a des ombres témoignant d’un propos plus politique, plus contemporain, mais Nicolas de Crécy, par le choix d’une distance narrative (dés)incarnée par un esprit en robe blanche, veille à suggérer plutôt qu’à imposer ce qui humainement l’interroge.
Plus d’une décennie après son Journal d’un Fantôme, Nicolas de Crécy renoue avec ce partenaire éthéré dans Les Amours d’un Fantôme en Temps de Guerre, et pousse plus loin encore la réflexion sur la création, la preuve de l’existence, l’amour et tout ce qui peut le rendre impossible en dehors de soi. Un conte en plusieurs dimensions, qui se révèle à celles et ceux qui veulent bien voir au-delà des lignes de fuite…
…mais les humains sont moins doués que les fantômes pour le surnaturel, c’est une évidence.