[dropcap]P[/dropcap]our son quatrième roman publié chez Verdier en cette rentrée, Antonio Moresco nous livre à nouveau, après Incendiés, un texte réellement déroutant. Il surprend d’abord par son ampleur, plus de 700 pages d’une prose aussi dense qu’inventive, mais aussi par son ambition.
Tout à la fois récit autobiographique qui s’appuie largement sur les épisodes de la vie de l’écrivain lombard, ce texte apparaît également comme une expérience littéraire, une tentative de faire du roman quelque chose de novateur, quelque chose qui pourrait s’apparenter à une petite révolution. Moresco a évidemment conscience d’emmener le lecteur très loin avec ce texte, puisqu’un éditeur s’interroge à la fin du livre sur l’accueil qui sera réservé à un manuscrit, qui pourrait bien être, par une construction en abîme, ce livre-ci…
C’est quoi cette chose ? (…) Comment on va faire pour balancer un truc pareil, là, comme ça, au milieu de tout le reste ? Le vide se fera autour, ça va révéler tout le vide qui nous entoure !
Antonio Moresco
La dernière partie de cet ample roman, relate en effet le troisième moment de la vie du narrateur, celui où, écrivain en attente de publication, il cherche désespérément à entrer en contact avec un éditeur qui a manifesté le souhait de publier son ouvrage. Dans des pages particulièrement réussies, aux limites de l’absurde, la rencontre impossible finit par advenir révélant à l’écrivain que cet éditeur n’est rien moins que le Félin, son « préfet des études » lorsqu’il était tout jeune au séminaire, bouclant ainsi le cycle d’une vie et le récit des trois Ouvertures qui la composent.
Car avant d’être écrivain, le narrateur a d’abord failli embrasser une carrière ecclésiastique, qu’il a fait suivre, après un renoncement dont nous ne connaitrons jamais la cause, d’une carrière d’activiste politique, aux confins de la violence. Ces deux premières vies constituent les deux premiers temps du livre, les deux moments où avec un extatique « Oui », le narrateur acte son engagement total, mais in fine temporaire, dans une voie, un chemin.
La lumière montait toujours. Nous étions de nouveau arrêtés devant la balustrade tout estompée, presque évaporée.
– Tu es certain d’avoir entendu l’appel ? me demanda-t-il soudain.
– Oui, oui, mon père ! sanglotai-je.
Antonio Moresco
Cette gigantesque fresque baroque aux personnages aussi nombreux qu’énigmatiques, apparaît ainsi comme une longue méditation sur l’agir, l’engagement et in fine ce que nous aurons fait de nos vies. Personnage sans aucun doute en quête d’une forme de vérité, le narrateur va successivement s’engager avec la même ferveur, la même sincérité dans ces trois voies qui pourraient paraître exclusives l’une de l’autre. Et ce qui frappe effectivement, c’est la totale cohérence du narrateur, sa certitude absolue qu’il faut agir, faire quelque chose, sans doute s’opposer comme le disent les trois premiers mots du livre, « Moi, par contre ».
Emmuré au séminaire dans un silence qu’il a choisi, forme ultime d’expérimentation de l’agir, il devient en sa seconde ouverture un militant zélé, bien qu’assez lucide sur les travers et les limites de la lutte politique et de ses acteurs. Ce sont ses yeux qui donnent à voir une réalité en permanence aux frontières du fantasque. Moresco nous embarque dans une succession d’événements loufoques mais également graves, qui construisent un déroulé quasi cinématographique, quelque chose qui ne dépareillerait pas entre Fellini et le Blier de Buffet froid. On roule en moto dans les escaliers des maisons, on donne des meetings sur des places désertes, on ré-embaume Lénine et on danse avec Pascal et Cervantès.
La mort saisit tragiquement les moins solides des personnages et nombreux sont ceux qui disparaissent puis réapparaissent, en des temps et des lieux distants et improbables, comme autant de coups de théâtre. Le temps a d’ailleurs un traitement tout particulier. A de très nombreuses reprises les personnages sont étonnés d’être là où ils sont. Ils ne voient pas le temps passer, pas plus que l’espace se distendre, dans une forme d’accélération que la troisième partie finira par orchestrer, signe de l’emballement maximal du monde.
Oui, oui je me souviens bien de tout ça…mais c’était quand ? Et maintenant où est-ce que je suis ? On est en quelle saison ? me demandais-je. Depuis combien de temps je tourne comme ça, de refuge en refuge, d’une émeute à l’autre ? Qu’est-ce que j’ai fait pendant toutes ces années ? Où est-ce que j’étais ?
Antonio Moresco
Avec Les Ouvertures, Moresco propose une expérience littéraire de « l’outrepassement », comme si avec cet au-delà, indique le personnage éditeur, « outrepasser et se laisser outrepasser » était notre ultime voie. Elle représente la forme ultime de l’agir que propose le roman. Mais comme la prêtrise ou l’action politique, elle bute inexorablement sur une forme de vanité, à tel point que l’éditeur suggère que seule la non-publication, voire la disparition de son auteur, pourraient être à la hauteur d’un tel texte !
La grande étrangeté de ce roman résonnera fortement chez le lecteur qui en tentera la traversée exigeante. Beaucoup lui sera donné, tout restera pourtant à dire et surtout, à faire.
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Les Ouvertures d’Antonio Moresco
traduit par Laurent Lombard
Editions Verdier, 9 septembre 2021
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