[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]oici venir le nouveau roman de Arni Thorarinsson. Ceux qui suivent l’auteur islandais connaissent bien son héros récurrent, le journaliste Einar, que chaque enquête amène à se plonger toujours plus profondément dans les splendeurs et misères de l’Islande et du monde contemporain. Cette fois, exit Einar. Le crime – Histoire d’amour est un roman noir, certes, mais pas l’ombre d’un enquêteur à l’horizon. Sauf à considérer la jeune Frida, qui fête ses dix-huit ans, comme l’enquêtrice de sa propre vie et de celle de sa famille.
Son père est psy. Et seul. Oh bien sûr, il y a bien quelques aventures à droite à gauche, rien d’important. D’ailleurs les filles n’ont jamais son numéro de téléphone. Chez lui, la chambre de Frida est là, abandonnée, avec ses souvenirs insupportables. Cela fait dix ans que Frida n’habite plus là. C’est son anniversaire aujourd’hui. Et elle n’est pas chez sa mère non plus. Elle a quitté la maison de sa grand-mère, où elle a vécu après le divorce de ses parents, survenu quand elle avait huit ans. Elle vit depuis plusieurs mois sa vie de jeune célibataire en compagnie de son amie Brynhildur, créatrice de vêtements. Elle ne veut plus voir ses parents, qui se sont séparés tellement brutalement que c’en était incompréhensible. Depuis, on lui promet qu’à sa majorité, elle saura la vérité. Alors aujourd’hui, elle l’attend, cette vérité qui a fait basculer sa vie.
Et sa mère ? Sa mère a perdu l’équilibre, comme on dit. Elle vit dans la rue, prostituée, alcoolique, accro aux médocs, une épave, quoi. Avez-vous remarqué ? Si on connaît dès les premières pages le prénom de Frida, et ceux des personnages secondaires de cette histoire, ceux de son père et de sa mère vont nous rester inconnus. Le récit tout entier se déroule sur une journée, la journée d’anniversaire de Frida. Du réveil du père au sortir d’une nuit de cauchemars morbides, à la fin, inéluctable, mais bouleversante. Lentement, Thorarinsson nous amène au secret. Petit à petit, il nous dévoile la lettre magnifique que la mère a écrite, celle où se raconte le drame qui unit ces trois personnages déchirés, mais aussi l’incroyable, l’impossible amour. Chacun de ces trois personnages a sa propre façon de vivre sa souffrance : le père use d’un détachement feint, la mère subit une descente aux enfers décrite sans la moindre complaisance, la fille, tout à sa colère, se heurte à un mur de silence. Et les trois dansent ensemble une ronde de vie et de mort.
Je ne vais évidemment pas vous dévoiler le secret, même si finalement ce n’est pas lui qui est au cœur du livre. Être un père, être une mère, une fille, qu’est-ce que c’est ? L’amour, la douleur, la séparation, le destin : autant de thèmes auxquels Thorarinsson nous confronte, dans un texte court (140 pages), dense, remarquablement composé et où pourtant l’émotion s’exprime au travers de cris de douleur, de colère, par la poésie et le lyrisme aussi. Un livre qu’on referme doucement, une boule dans la gorge, le cœur en vrac et nos certitudes ébranlées. A signaler – mais cela devient une habitude !- la très belle traduction d’Eric Boury.
Arni Thorarinsson est né en 1950 à Reykjavík où il vit actuellement. Après un diplôme de littérature comparée à l’université de Norwich en Angleterre, il devient journaliste dans différents grands journaux islandais. Il participe à des jurys de festivals internationaux de cinéma et a été organisateur du Festival de cinéma de Reykjavík de 1989 à 1991. Ses romans sont traduits en Allemagne et au Danemark (présentation de l’éditeur).
Arni Thorarinsson – Le crime – Histoire d’amour, traduit de l’islandais par Eric Boury, Métailié noir, février 2016.
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