À l’occasion du concert du groupe le 9 avril à la Maroquinerie, j’ai eu l’occasion de rencontrer chaque membre du groupe Autour de Lucie et d’échanger avec eux sur leur parcours et leur implication dans la conception de l’album. Vous trouverez ici la chronique de l’album, La Face A ayant traité de ce qui a amené ce groupe à resurgir dans sa configuration actuelle.
La face B de Ta Lumière particulière commence par
Îlienne
« Îllienne, seule et immobile / Ilienne, sauvage et fragile »
Si le texte parle de solitude, la musique, calme et tranquille s’achève sur une envolée. « L’évocation de quelque chose qui va renaître, vers une autre destination, une autre scène », nous dit Sébastien Lafargue. De l’échappée belle (allusion à la passion du cyclisme chez le grand-père de Valérie Leulliot) à la grande évasion, les textes d’Autour de Lucie explorent souvent l’envie d’ailleurs. Ici, c’est avec la musique que l’aspiration à un autre lieu est évoqué.
L’album est composé de titres clairement orientés vers des sonorités des années 80, dans les claviers et boîtes à rythmes mêlées à des batteries et des guitares. La face A enchaîne quatre titres aux rythmes relevés pour finir sur une ballade. La face B est plus contrastée, avec un titre calme qui s’anime, un titre tranquille, un retour à des rythmes relevés pour finir sur une chanson carrément planante. Dans les sonorités, le disque est en rupture avec les précédents. Ça a toujours été le cas dans l’oeuvre de Valérie Leulliot. « L’idée c’est de ne jamais faire les mêmes disques. Ils ont tous la même voix et parfois les mêmes propos, c’est leur point commun. Mais j’aurais peur de me lasser, si je faisais tout le temps le même disque. Autour de Lucie, c’est l’histoire des rencontres que je fais. Elles ouvrent de nouveaux horizons, tout en gardant la couleur de la maison. Il y a beaucoup d’artistes qui ne se remettent pas en question… ». « L’idée c’est de se renouveler, c’est l’excitation, la découverte. Se mettre à zéro et se donner l’opportunité d’explorer. Ça a toujours été la volonté de Valérie, depuis le début. C’est le meilleur moyen de durer, d’avoir l’envie de continuer ».
Le goût des chardons
« Drôle comme on est sérieux »
Une chanson sur le fait de perdre de vue quelqu’un qui a peut-être été important. Comme dans « Corps étrangers », (« quoi de plus familier que deux corps étrangers ? »), les textes de cet album contiennent souvent des oxymores : « Détache (des tâches ?) sur le tissus immaculé », « ivre de soif », « drôle comme on est sérieux », « Brighton Peer, et meilleur se côtoient ». « Ce n’est pas fait exprès, mais j’aime bien, je trouve que ça démystifie. « Ivres de soif », ça ne se dit pas. Et justement, si ça ne se dit pas, quand le dire, si ce n’est en poésie ou en chanson ? J’aime chercher l’absurdité, ça dédramatise le propos, j’aime jouer avec les mots ».
Et cette déclaration de faire écho dans mon esprit avec la déclaration d’Alain Bashung concernant les paroles de sa chanson Résidents de la république (« Un jour je courrirai moins / Jusqu’au jour où je ne courrirai plus ») : « La faute est peut-être une coquetterie, pour dédramatiser. Les textes de mes chansons n’ont jamais prétendu à donner des leçons de français, au contraire. J’englobe tous les gens qui commettent des maladresses, sous le coup de l’émotion, par exemple. Cette chanson est signée Gaëtan Roussel. »
Comme chez Bashung, aucun des textes d’Autour de Lucie n’est frontal, direct ou explicite. Ils ont tous un côté parfois mélancolique ou désabusé, lié aussi à la façon de chanter de Valérie Leulliot. Chacun peut y trouver une résonance personnelle. C’est en sublimant un état d’âme ou une émotion et en exprimant ce qui est au-delà des mots que ces textes trouvent leur force et créent l’attachement.
Ainsi, dans C’est là que je descends, Sébastien Lafargue souhaitait faire allusion à la perte d’un être cher. « Je n’avais pas envie d’un texte évident, je voulais créer de l’éloignement et de la proximité. Je voulais évoquer une rupture, un départ, voire la mort. Je voulais symboliser tout ça avec un sens ouvert, pour que chacun puisse y trouver sa résonance, un écho ».
Souvent les paroles des précédents albums d’Autour de Lucie me reviennent et tournent dans mon esprit. elles m’accompagnent. Je suis certain que Ta Lumière particulière aura le même effet.
(Lorsqu’avec un peu de malice je comparerai OK Chaos aux paroles de Désenchantée de Mylène Farmer, et Détache aux Résiste et Débranche de France Gall, je m’entendrai répondre : « J’ai beaucoup aimé à l’époque « Maman a tort » » et « Je suis fan de Michel Berger »… Comme quoi, ce qui se voulait une boutade a donné lieu à des révélations (pas du tout) fracassantes).
Cheval étincelle
« It’s a wonderful life / But you had to escape »
Un des titres les plus cryptiques lorsqu’on n’a pas les paroles sous le nez. Savoir qu’il s’agit d’un hommage à Mark Linkous, fondateur et membre permanent du groupe Sparklehorse (cheval étincelle, donc), qui mit fin à ses jours en 2010, permet de mieux comprendre les paroles. It’s a wonderful life est le titre d’un de ses albums, et Valérie épelle Sparklehorse en anglais à un moment de la chanson. « Le message est très caché, ce ne sont que des images, des scènes de film ». Le rythme est pourtant relevé, dansant.
Si les trois premiers albums d’Autour de Lucie sont baptisés selon des images liées au mouvement (L’échappée belle, Immobile et Faux mouvement), celui-ci marque une rupture en faisant allusion au sens de la vue. Si les titres des albums sont choisis sans volonté consciente de créer une cohérence, Ta lumière particulière a été choisi comme titre pour son originalité.
Témoin de l’attachement du groupe à l’image, le travail acharné de Valérie Leulliot avec Vincent Huet (créateur du logo et de la typographie) pour recréer le bleu issu d’un nuancier qui date de 1920, pour orner la pochette de l’album.
Attachés aussi à l’objet, le vinyle s’est imposé comme format physique de prédilection pour sortir l’album :
« L’album, la forme, sont importants, notamment quand on est collectionneur. J’ai acheté le dernier Arcade Fire en vinyle, mais aussi eu envie d’avoir Off the Wall de Michael Jackson et Transformer de Lou Reed. Les CD n’ont plus d’intérêt ».
« J’ai un complet attachement à l’objet, au disque, pour un album. Je n’aime pas l’idée d’une sortie uniquement digitale pour un album, pour avoir vécu l’époque où on devait sortir un vinyle de la pochette, où on sentait son odeur… Quand j’écoute un titre que je réalise, j’imagine un saphir sur le disque, et je me demande si le morceau est digne de ça. Quand j’avais 5/6 ans, j’écoutais au casque le vinyle de L’apocalypse des animaux de Vangelis. C’était la Bande Originale d’un documentaire animalier. Ça me touchait. Je ne l’ai jamais réécouté depuis, mais ça m’accompagne tout le temps. L’objet, c’est comme un livre, une succession de chapitres. Je sais, j’enchaine les poncifs de l’attachement au vinyle, mais le support et l’objet ne sont pas détachables du son. C’est comme un film, ça se regarde sur toile. Au moment de l’écriture de l’album, on travaillait dans une chambre, avec les pochettes de deux disques tournées vers nous : celles de Transformer et d’Off The Wall (ndlr : Valérie et Sébastien m’ont parlé séparément, à quelques jours de distance). Comme disait Alain Souchon : « écrire, c’est regarder pendant des heures une poignée de porte ». Eh bien dans les moments de doute, on avait ces deux visages, un souriant et un autre à la beauté étrange, qui nous regardaient et nous motivaient. C’est ça la force de l’objet qu’est le vinyle. »
C’est là que je descends
« C’est là que je descends / Je te laisse mon sourire et mon sang / Je m’en vais le coeur léger, je m’envole / comme l’oiseau que tu aimais me montrer /
C’est là que je descends / porte toi bien, deviens plus grand / Je regarderai souvent par ici /tu m’entendras dans le vent, c’est promis /
Tu sais, tout ça n’existe pas / ce ne sont que des images / un jour peut-être tu comprendras / et tu connaitras ce voyage
C’est là que je descends / prends soin de m’aimer longtemps / l’air du crépuscule est doux / L’infini s’impose à nous
Tu sais, tout ça n’existe pas / ce ne sont que des images / un jour peut-être tu comprendras / et tu connaitras ce voyage »
Un bel adieu… ou au revoir. Le disque s’achève. C’est le moment de quitter le groupe, non sans demander quelques conseils culturels et s’ouvrir vers l’avenir.
À la suggestion de ressortir les premiers albums d’Autour de Lucie en vinyle, Valérie Leulliot répondra que c’est une bonne idée.
À part Autour de Lucie, Valérie avoue qu’elle aimerait travailler un jour avec Étienne Daho, et qu’elle participera sans doute prochainement à d’autres oeuvre, mais rien n’est officiel. Elle nous conseille l’écoute de Jungle et le visionnage des films de Hirokazu Koreeda, notamment I wish et Tel père, tel fils.
Pour Sébastien, un projet très personnel sur lequel il travaille depuis longtemps verra peut-être le jour. L’un de ses chocs culturels a été Apocalypse Now, de Coppola, et il nous avoue adorer Let it happen de Tame Impala.
Antoine est sur plusieurs projets : les concerts de Luciole à l’automne, le travail avec Encravted Soul, groupe yéyé/rock n roll et avec Shorebilly, un des membre de Syd Matters. Nous entendrons surement parler de lui très prochainement pour d’autres projets pour l’instants non officiels. « Il y a beaucoup d’affect dans mon travail : Ils sont tous devenus des copains ». Ce seront les mots de la fin.
Je voudrais remercier les trois membres du groupe pour leur accueil, leur disponibilité, leur proximité et leur sincérité lors de nos entretiens détendus et d’une grande richesse d’échanges.
Mais aussi, et surtout, je voudrais les remercier pour leur musique, pour leurs chansons : Sur des sonorités très marquées par les années 80 mais ancrées dans la modernité, le groupe nous offre avec ce disque de quoi danser sur une évocation, une atmosphère, un climat empreints de mélancolie. « Dancing with tears in your eyes », si vous voyez ce que je veux dire… Un disque qui ne me quittera pas de sitôt.