À l’occasion du concert du groupe le 9 avril à la Maroquinerie, j’ai eu l’occasion de rencontrer chaque membre du groupe Autour de Lucie et d’échanger avec eux sur leur parcours et leur implication dans la conception de l’album. Vous trouverez ici le récit de ce qui a amené ce groupe à ressurgir dans sa configuration actuelle. La face B traitera plus de l’album en soi.
Détache
« Détache / de la feuille, la partie du bas / Et renvoie, dans l’enveloppe, prévue à cet effet… / Les antilopes, les feux sacrés (…)
Cours, cours petite soeur, et dans l’horizon, ne cherche pas hier / Goûte, goûte les saisons, comme si c’était, les premières… »
Voila comment s’ouvre Ta lumière particulière, nouvel album d’Autour de Lucie. Quelques mots tenant du langage administratif qui embrayent sur une fantasmagorie. Puis sur une injonction.
Qui pousse à se laisser aller, à profiter. Goûter, goûter, mais pas de manière désabusée, pas avec des idées funestes. Au contraire, garder un regard frais et neuf, curieux, en laissant de côté le passé.
Détache est un mantra. « C’est de l’auto persuasion sur le détachement ». Il résume à lui seul la démarche et l’état d’esprit du groupe. Ce qu’il dégage et transmet, sur scène, mais aussi dans la vie, pour ceux qui comme moi, ont eu la chance de les rencontrer. Détache, c’est aussi ce que je me suis dit juste avant d’interviewer chacun des membres du groupe…
Chronique d’une triple rencontre passionnante et d’un album incontournable.
Autour de Lucie nous avait laissés en 2004 avec un album éponyme. Sébastien Lafargue vient à peine d’intégrer le groupe. Bidouilleur solitaire à Toulouse, il avait réalisé un morceau pour l’exposition d’un ami artiste contemporain. Le morceau se retrouve à Village Vert, label historique d’AdL. Valérie Leulliot le découvre et rencontre Sébastien. Amitié presqu’immédiate. Quand le groupe cherche un bassiste, elle se tourne naturellement vers lui. Il intègre pleinement le groupe (dont il adorait déjà l’album Faux Mouvement) et participe à l’écriture de plusieurs titre. Il en réalisera aussi deux. Le groupe part en tournée et le duo commence à ébaucher des morceaux. « Une vraie rencontre artistique, forte ».
Les autres membres du groupe se consacrent à des projets personnels. Sébastien et Valérie continuent donc à composer. Les morceaux qui prennent forme sont plus intimes, « très crus, à l’arrête, bruts », dira Sébastien. De manière naturelle, sans calcul, les chansons s’imposent dans une tonalité qui ne sied pas à un groupe, « sans armada, juste avec un complice ». Elle seront donc éditées dans Caldeira, album solo de Valérie Leulliot, entièrement réalisé avec Sébastien Lafargue.
Déjà, la méthode de travail est là : laisser parler le naturel, ce sont les morceaux, l’inspiration qui parlent. La phase de composition tient déjà compte de la production à venir, et de l’humeur du morceau. « Le climat ». Sébastien est un amoureux du son, de l’ambiance, comme on le verra dans ses déclarations plus bas.
OK Chaos
« J’habite sur des sables mouvants/ je prends / la vague et pourtant / Digne dans la défaite / Comme dans la victoire (…)
Verticalité sereine / j’épouse le mouvement (moment ?)
OK Chaos »
OK Chaos, c’est l’acceptation des moments difficiles. « L’échec, ce n’est pas forcément nul, ça fait partie de la vie : Ce qui est important, c’est le chemin. Aujourd’hui, t’as plus le droit à l’erreur« . Pourtant, les erreurs et les échecs font aussi avancer, nous dit Autour de Lucie dans cette chanson.
Après la tournée autour de l’album, Valérie Leulliot discute par hasard avec Arnaud Cathrine lors d’une soirée littéraire. Elle lui donne le titre du livre qu’elle lit à ce moment là. C’est lui qui en est l’auteur. Nouvelle histoire d’amitié. Elle s’embarque dans les aventures Fantaisie Littéraire, Frère-Animal et Coquillette la mauviette avec l’auteur et son complice, Florent Marchet.
Pendant ce temps, Sébastien Lafargue s’investit dans la réalisation des albums de Madjo et de Patxi. Ce dernier, tombé fou amoureux de Caldeira voulait absolument travailler avec Sébastien, qui acceptera à une seule condition : « Je le fais si je trouve ma place ».
« Ce fut une rencontre très chouette, (…) Patxi est quelqu’un de très juste, (…) il y a des choses très touchantes dans les chansons qu’il écrit ».
« La réalisation, ça se fait dans le partage, l’échange, l’amusement. Il faut sentir qu’on peut s’y retrouver. Explorer ce qu’on a envie d’apporter. Amener cette partie climatique, travailler sur les sons, ça peut être très différent, ça dépend des artistes ».
Pendant ce temps, Antoine Kerninon aura fini son DESS de gestion et protection de l’environnement. Il sera venu de son Quimper natal à Paris pour faire son stage de fins d’études et rejoindre son ami Benoît Guivarch. Finies les études, Antoine intègre l’ARPEJ (Association Rencontre pour la Pédagogie et l’enseignement du Jazz), où il peaufinera son jeu de batterie, qu’il a apprise en Conservatoire depuis l’âge de 13-14 ans. Il fondera alors YOVO, groupe de jazz-rock avec un camarade d’école. Il intègrera aussi Carp, le groupe de Benoît Guivarch, qui produira deux albums post-rock, mêlant acoustique et noise. Et enfin (Grand) Luxe, groupe éphémère qui se voulait moins sérieux, « créé pour sortir du rock ou de la chanson ». Mais surtout, Antoine est partie prenante du groupe Jil is Lucky, qui a réalisé The Wanderer, cette ritournelle folk utilisée dans une pub Kenzo…
Le Power Ranger force noire Loubavitch qui caresse un agneau puis perd sa perruque en chevauchant un poney dans la neige, c’est Antoine Kerninon. Non content de participer à plusieurs groupes, Antoine Kerninon a créé avec Benoît Guivarch BAAB, duo de réalisateurs/producteurs qui ont travaillé sur les nouveaux albums de Luciolle, et de Ladylike Lilly. Leur rôle et investissement varient suivant le projet, allant de la réalisation de tous les arrangements, compositions et instruments à partir d’a cappellas à la simple exécution d’arrangements déjà établis ou à la Direction Artistique scénographique et musicale de concerts.
Où ça va
« Je n’sais pas pourquoi / On s’attache, On s’attache
Il existe un ailleurs / à nos vies de sparadrap / Un espace entre les heures / Où s’achève le combat »
Le mystère de l’attachement, de la complicité. L’amitié, la complicité qui nous permettent de nous échapper de notre quotidien…
Le temps est venu pour Sébastien et Valérie de se remettre à la composition. Chacun a travaillé de son côté, une partie au piano ou à la guitare, ou a apporté une matière sonore puis une mélodie. Pour les musiques, aucune méthode n’est appliquée, tout est possible, ouvert. Néanmoins, très en amont de la création, les sonorités, la couleur, l’atmosphère des chansons sont déjà définies. « La nature des sons est déjà très établie ». « Dans la composition, on ne s’est rien refusé : Si on avait envie d’un long bridge, ou d’un instrumental qui pourrait être une hérésie pour d’autres compositeurs, comme une fin de 4km de long, on les faisait ».
Il n’y a pas de distinction entre Sébastien Lafargue et Valérie Leulliot dans les crédits. Ils sont tous deux auteurs et compositeurs pour tous les morceaux. « Les choses sont entrelacées, on a arrêté de se poser la question sur le sujet. La majorité des textes sont écrits par Valérie, mais parfois, je finis un texte à elle, et elle en finit un moi ».
Pour les textes, Valérie Leulliot s’inspire d’un thème, d’une phrase, et « tire dessus ». Ce sont des « élans furtifs, des hallucinations sonores » qu’elle attrape au vol. Une lecture, un mot ou une conversation entendus lui ouvrent le champs de l’inspiration.
En avance de l’album, sort, lors du Record Store Day 2013 le single
Ta Lumière Particulière
« Sombre est ta lumière particulière »
Accompagné en face B d’une reprise de Eyes Without A Face, de Billy Idol, le vinyle devait rapidement précéder la sortie de l’album éponyme. Valérie Leulliot, dans sa grande délicatesse, nous déclarera que, pour des raisons matérielles, l’enregistrement et la sortie de l’album ont été remis à plus tard. Nous découvrirons que la vie aussi a freiné la réalisation du disque.
Mais revenons à ce single. Le morceau original est une pure merveille, abordant le sujet de l’attirance du danger et de la tentation, mais aussi le plaisir d’y céder et la culpabilité qui accompagne cet abandon.
Mais la face B, Billy Idol… Billy Idol ?! Billy Idol, le cyber-punk alliant l’arrogance au pire des sonorités des années 80 ? Oui, celui-là même ! Mais pourquoi, pourquoi ????!!!!
« C’est mon idée, je me souviens avoir été marqué par cette production claire et obscure, pas comme Cure, mais un truc très mélancolique. Une lumière indéfinissable, assez touchante. Une registre un peu crooner, même si je n’en suis pas forcément fan. On en a fait une version plus légère, avec une onde mélancolique… Mais j’aurais aussi pu faire Jonasz «
Moins dans l’arrogance et plus dans la fragilité, la reprise est une réussite.
Pendant ce temps, Antoine Kerninon fait son chemin et des rencontres, notamment Loïc Morin, qu’il croise à diverses occasions. Loïc travaille de longue date avec Sébastien et Valérie. C’est lui qui joue notamment sur le titre Ta Lumière Particulière et dans l’album de Patxi. Il est très demandé et très occupé. Le respect de l’autre, humainement et musicalement, et l’amitié qu’ils partagent amèneront ce batteur à proposer à Antoine de le remplacer pour certaines dates. Dont celle d’Arman Méliès aux 3 Baudets en octobre 2013. On l’y découvrira, habité, électrisant un live puissant et extrêmement intense, malgré sa courte durée. C’est dans ce cadre qu’il fera deux concerts avec Autour de Lucie début 2014. « Je les écoutais, étant ado, j’étais très content de jouer avec eux ».
Brighton Beach
« Un homme se noie, ivre de soif… / Une fille de joie, âge avancé voit son rimmel couler/La pluie sera son alibi
Brighton Beach, Romantique et paumée, comme moi / Brighton peer… et meilleur se côtoient »
Dès le moment de l’écriture, les idées de production sont là, et Valérie et Sébastien remarquent que les morceaux sont moins de l’ordre de l’intime, ce qui demandait de relancer le groupe. « C’était important de retrouver cette énergie ». Pour les rythmiques, ils ont besoin de quelqu’un avec une plus forte disponibilité que Loïc Morin et c’est avec son accord qu’ils proposent à Antoine d’intégrer le groupe et d’enregistrer l’album. « Antoine, c’est une véritable rencontre, gros gros flash : ça s’est fait simplement et naturellement ». « La personne qui entre dans le groupe en fait partie, c’est comme ça que Valérie a initié le truc (…) C’est une histoire de rencontres, d’énergies. On est très sensibles à ça ».
Lors de l’écriture, l’idée des sonorités, de la production est déjà très avancée. La nature des sons est déjà très établie. C’est le cas notamment pour les rythmiques. « J’aime travailler avec l’idée d’une base rythmique, avec une signature de groove (j’aime pas trop ce mot), un mouvement, une pulsation. Sur cet album, les parties rythmiques étaient travaillées de manière très électronique. Je ne suis pas attaché à l’authenticité. J’aime arriver à une idée, à une émotion, qui peuvent être évoqués par un son, de grosse caisse ou de caisse claire : leur donner une lumière particulière… Le climat, l’atmosphère d’un titre, ça peut venir du mélange de parties électroniques et organiques ». « En studio, on a donné la possibilité à notre batteur d’articuler tout ça. Il y avait des parties ouvertes, des articulations couplets/refrains où Antoine a pu donner l’expression qu’il souhaitait ». « Loïc est quelqu’un de très précis. Moi je suis plus libre, plus poulpe, mais j’essaie d’être plus métronomique. Je peux exécuter ce qu’on me demande de faire, mais j’aime aussi donner de la liberté et de l’espace à mon jeu, ne jamais proposer deux fois la même chose… C’est sûrement le jazz qui m’a apporté ça ».
« Pour le reste des instruments, il y a plusieurs dimensions qui donnent le climat. J’essaie de faire comme Brian Eno, de porter une attention particulière à ce qui transforme la pièce, ce qui donne un éclairage, un mood. Une dimension donne le caractère, la lumière de la chanson, puis les guitares, les basses… Et surtout la voix, qui doit être au milieu. Les voix masculines viennent perturber tout ça aussi. Comme dans un film, l’émotion peut être portée par un fondu, qui peut être très évocateur. Kubrick adorait ça ».
Changement d’ambiance musicale sur ce morceau, mélancolique et doux. Rupture de ton. Ce sera le dernier de la face A du disque. Il est temps de retourner le disque et de passer à la Face B…. demain ^^
…..