[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#858282″]Ç[/mks_dropcap]a fait quelques années que je le suis d’une oreille distraite, le Babx, quelques années qu’il me titille les conduits auditifs, depuis Drones Personnels et son tube Tchador Woman. Je l’ai aimé, comme ça, presque sur un malentendu, sans donner vraiment suite à ses aventures musicales.
Pourtant, avec le recul, j’aurais dû. Car son parcours est très étonnant, et il fait preuve d’un courage et d’une exemplarité rare parmi les chanteurs de « variété ».
Oui, je sais, ce n’est pas vraiment de la variété, mais plutôt du rock à la fois personnel et grand public.
Ou alors de la variété dans le sens Daho ou Bashung du terme.
Toujours est-il qu’avec le recul, j’aurais pu me pencher bien plus sur le cas Babx. Parce qu’un gars qui préfère quitter un label (Cinq 7) dans lequel se trouvent au moins deux grands de la nouvelle chanson française (Dominique A et Bertrand Belin) pour fonder le sien (BisonBison), dans le but de sortir ce qu’il a en tête et non ce qu’on veut de lui, ça force le respect.
Du coup, ça amenuise le champ d’action, réduit l’impact commercial, mais ça augmente de façon exponentielle la crédibilité. D’autant plus quand, pour l’album suivant, il sort un objet sonore à peine identifiable, à mille lieues de la production actuelle (un truc électro, rock, bizarre, hyper référencé, poétique, philosophique et bourré d’extraits sonores d’Artaud, Deleuze, Ferré, Kerouac), d’une grande liberté, et le présente quelques semaines plus tard en performance artistique et littéraire à la Maison de la Radio.
Non seulement la démarche est risquée (sortir un disque composé exclusivement de textes de poètes reconnus, c’est tout de même un exercice très casse-gueule), mais le résultat est assez épatant.
Maintenant, pour tout vous dire, je me suis ré-intéressé à Babx il y a quelques semaines, quand a circulé un extrait de son nouvel album sur lequel apparaissait Archie Shepp.
Archie Shepp chez Babx ? Mouais… et pourquoi pas Keith Jarrett chez Saez tant qu’on y est ?!
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#858282″]S[/mks_dropcap]auf qu’ici, après écoute du morceau (Omaya III), l’évidence s’impose d’elle-même : Archie Shepp et Babx ne pouvaient que travailler ensemble, à l’image d’Ornette Coleman et Joe Henry sur Scar (d’ailleurs le parcours de Henry rappelle un peu celui de Babx : compositeur pour d’autres, Camélia Jordana pour Babx, Madonna pour Henry, et auteurs de disques aventureux et exigeants pour les deux).
Une évidence renforcée par un simple coup d’œil sur sa biographie : David Babin pratique le piano depuis l’âge de cinq ans. Une trentaine d’années à étudier les gammes, le classique, à s’imprégner des jeux de grands jazzmen, ça finit forcément par ressortir un jour ou l’autre.
Il aura malheureusement fallu attendre les attentats du 13 novembre 2015 pour que tout ressurgisse. La dévastation fut telle pour Babx qu’il lui aura fallu revenir aux fondamentaux, abandonner toute forme de fantaisie et s’appuyer sur les figures tutélaires pour se reconstruire.
Ce qui impliquera un nouvel album à la tonalité forcément sombre, dévastée, baignant dans le jazz, avec des percussions à minima, comme pour signifier l’ampleur du désastre intérieur, et dont la moelle épinière sera le piano. Et de fait, Ascensions assume avec un talent extraordinaire cette orientation. Déjà, dans le titre, tout est dit : les intentions, l’ambition, celle de nous mener très loin, très haut via la référence à Coltrane, et donc à une certaine quête de spiritualité, de liberté.
Or, elle est ici présente partout, dans l’épiderme de l’album, dans chaque pore des chansons, qu’il fasse référence au jazz modal de Miles Davis (Omaya pt1 renvoie au Bill Evans de Kind Of Blue), à la chanson française (Le Déserteur est comme une réécriture inversée de Samuel Hall de Bashung : les rythmes froids et syncopés de l’un sont remplacés par la simplicité, la lenteur et la fluidité de l’autre ; Samuel Hall nous détestait tous, ici, le déserteur est détesté par tous. Seuls le traitement de la voix et certaines figures de style rappellent Bashung) ou à l’électro, elle irrigue tout Ascensions. De ce fait, au nom de cette liberté, il peut et se permet tout avec un succès frisant l’insolence : marier Michel Berger au jazz (Alpiniste), Brel à Davis (Omaya pt1), inclure un interlude décalé, étrange mais totalement raccord avec le concept de l’album, ou encore des fulgurances free dans un morceau ample et vertigineux (L’Homme De Tripoli).
Si Ascensions est d’une tonalité sombre, hanté par les pulsions de mort (obscurantisme, attentats, sur la trilogie Omaya), les émotions négatives (colère, mégalomanie, cupidité), le disque évolue d’une colère digne, rentrée, vers une mélancolie bouleversante (Le Déserteur), puis une pulsion de vie salvatrice (Alpiniste), quitte à se terminer sur un anachronisme musical (Tango, sample (?) lumineux, léger, mêlant jazz et tango et achevant Ascensions sur une touche onirique), mais en totale adéquation avec le concept du disque : à savoir ne pas plier sous la terreur, s’ériger en résistant.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#858282″]U[/mks_dropcap]ne telle ambition, chez d’autres que Babx, pourrait très vite virer à la démonstration, être lourde (cf certains voisins de son ancien label) et parfaitement indigeste.
Ici, curieusement, il n’en est rien. Car cette liberté qu’il étreint en permanence, associée à une grande délicatesse, permet à Babx d’éviter ce genre d’écueil, et élever Ascensions vers des sommets que peu de disques Français atteindront cette année.
Sortie le 26 mai dernier chez BisonBison et disponible chez tous les disquaires équipés de téléphériques ascensionnels de France et de Navarre.