Notre séance de rattrapage sur quelques BD ayant marqué l’année 2024, se poursuit cette semaine avec un coup de projecteur sur deux événements historiques : la folle équipée d’Action Directe ; et le procès de Bobigny sur l’avortement. La semaine prochaine, on se retrouve pour un focus sur la sélection 2025 du Festival International de Bande-Dessinée.
L’escamoteur de Philippe Collin et Sébastien Goethals – Futuropolis – Octobre 2024
Ces deux lettres sont une signature pour qui s’intéresse à la violence politique des années Giscard et Mitterrand : celle d’Action Directe, groupe terroriste d’extrême gauche. Sous un angle novateur et malin, L’Escamoteur (Futuropolis), du nom d’un tableau de Jérôme Bosch, revient sur leur histoire.
Comment parler d’une période déjà tant commentée ? Comment témoigner, sans l’avoir directement vécu, d’attaques à l’explosif, de braquages et d’assassinats, comme celui de Georges Besse, PDG de Renault ? Comment s’inscrire, de manière juste, dans un contexte de changements majeurs pour la société française ?
Avec L’escamoteur, Philippe Collin et Sébastien Goethals (Le voyage de Marcel Grob) réussissent à répondre à ces questions. D’une part en puisant dans des souvenirs personnels, d’autre part en s’intéressant à un personnage à la dimension romanesque évidente : l’insaisissable Gabriel Chahine. Celui-ci fut l’un des compagnons de route de la bande emmenée par Jean-Marc Rouillan et Nathalie Ménigon, entre autres. Mais alors qu’il jouait un double jeu, il en fut aussi la première victime.
Travaillé comme un polar, que la politique et ses parts d’ombre ne cessent de traverser, L’Escamoteur renoue avec la grande tradition du documentaire-fiction. En multipliant les témoignages, en reconstituant des scènes épiques, en convoquant le passé, les deux auteurs mettent habilement en lumière une vérité pas toujours bonne à dire.
Bobigny 1972 de Carole Maurel et Marie-Bardiaux-Vaïente – Glénat – Janvier 2024
Marie-Claire Chevalier n’est pas encore majeure quand elle se fait avorter avec la complicité de sa mère, qui élève seule ses enfants. Dénoncées, toutes les deux sont arrêtées et jugées. Leur procès va changer le cours de l’histoire. En témoigne ce roman graphique édité chez Glénat, dessinée et colorisée par Carole Maurel, et scénarisée par Marie-Bardiaux-Vaïente.
Pouvoir disposer librement de son corps et ne pas faire l’objet d’une justice à deux vitesses, celle qui condamne des femmes dans le besoin ayant avorté, et celle qui ignore des femmes ayant pu se faire avorter moyennant un gros chèque. C’est de ce combat dont il est question dans Bobigny 72.
Ce combat, c’est celui des femmes dans la France des années 70, qui subissent l’indifférence et l’obscurantisme des hommes, lesquels détiennent par ailleurs le pouvoir politique et judiciaire. C’est aussi celui de 343 signataires d’un manifeste, déclarant avoir avorté et réclamant l’avortement libre et gratuit.
Parmi elles : l’avocate Gisèle Halimi, membre de l’association Choisir. C’est elle qui va défendre Marie-Claire et sa mère. C’est elle également qui, en faisant témoigner à la barre l’actrice Delphine Seyrig, le prix Nobel de médecine Jacques Monod, l’écrivaine et philosophe Simone de Beauvoir, ainsi que le Médecin catholique Paul Milliez, va obtenir la clémence du tribunal à l’égard des deux femmes incriminées.
Suivra l’adoption de la loi Veil. En invitant les parlementaires à ne plus fermer les yeux sur les 300 000 avortements qui, chaque année en France, mutilent les femmes, elle dépénalise l’avortement et constitue une avance majeure dans le droit des femmes.
Sans concession, au fil des audiences du procès et de révélations glaçantes, Bobigny 72 nous entraîne dans les méandres d’une époque révolue, tout au moins en France. Passionnante et savamment mise en image, la bande-dessinée gagne à être connue et partagée.