Le 27 mars 2020, les Lillois de Bärlin dévoilaient à la face du monde le premier volet d’un ambitieux diptyque. The Dust of Our Dreams se présentait au titre d’une troisième œuvre s’attachant au dogme d’une musique sans guitare, une diffusion dans la lignée de Morphine, le cafard sans doute moins marécageux mais terriblement flatté par les sanglots non pas d’un saxo mais d’une clarinette en guise de singularité organisationnelle. J’imaginais alors des cousins de Samaris (autre trio bien plus électronique mené par l’irradiante Jófríður Ákadóttir) alors que j’avais à disposition des influences piquées entre un jazz venu des catacombes et le spleen acéré de Nick Cave. A mon goût, il manquait tout de même la petite étincelle pour enflammer le tout en grand brasier décadent. L’idée, la progression étaient au rendez-vous même si je demeurais sans l’ombre d’un flambeau entre les mains.
Je ne sais si les confinements répétés et/ou la dureté des instants auront eu raison de la salinité de la suite mais je confesse avoir été littéralement happé par le second acte du projet. L’évocation gutturale est toujours de mise, saillante même… portée par des développements bien plus incisifs. Bärlin à travers State Of Fear lâche foncièrement la bride. Dès l’ouverture Deer Fight, le timbre de Clément Barbier insuffle autant la trame d’écorchures que de chaleur. Le néo post-punk se charge progressivement d’un tempérament qui vient se faufiler dans les virages serrés empruntés par une basse de plus en plus plombée par la teneur du propos. Revenge dans le prolongement logique sera l’occasion d’entrevoir le désir de préliminaires en direction de chemins plus boisés. Imaginez ici une forêt hantée par des ombres dont nous devinerions à l’écoute attentive la perception de cris sauvages.
Ce qui fascine au final dans la manière d’avoir conçu l’album réside à mon sens en la science du contraste. Plus précisément cette lumière qui s’extirpe de retenues en sourdine, ce phrasé baroque aux allures rocailleuses, l’ensemble hypnotique conduisant vers un ailleurs où quelques berceuses sombres se meurent tandis que le mercure monte encore et encore.
Les effets denses de Farewell Song sont de cet acabit où la virtuosité tranchante se pose au gré d’une lenteur tantôt apaisante tantôt inquiétante. Cette ambivalence sensorielle manœuvre l’essence d’un groupe en osmose, pleinement habité par le reflet de ses propres troubles existentiels et bien évidemment les nôtres (enfin du moins les miens) par effet ricochet.
Roulements abrupts, incantations possédées qu’on imagine clamées au bord du précipice, marches saccadées, effusions aliénées, emballements aussi terrifiants que jouissifs, telle est la partition de State of Fear. Notons au passage la plage intitulée Sgink Era Ew dont la bande inversée s’amuse à surajouter des diableries farouches avant Strum achevant le trouble épique de sublimes ondes charnelles. Si les membres de Bärlin sont les rois, je veux bien m’incliner docilement et leur prêter allégeance.
Bärlin · State of Fear
Lilian Prod/L’Autre Distribution – 3/03/2023