[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#e30922″]O[/mks_dropcap]uhhhh la belle initiative que voilà !
PIAS a l’excellente idée de rééditer 1965–1980, unique album de Basement 5, brûlot dub, punk, rock, expérimental (les chercheurs cherchent toujours…), innervé par la révolte, et qui aura traversé l’année 1980 sans avoir de descendant direct.
Devenu introuvable en CD peu de temps après sa première réédition en 1992 (faite un peu par-dessus la jambe, contenant le minimum syndical au niveau des notes/crédits), il aura fallu attendre 25 ans pour pouvoir de nouveau mettre la main dessus.
Basement 5, au niveau bio, c’est un peu le bordel. Trois années d’existence (1978-1980) seulement, mais alors pour retracer le parcours du groupe, c’est du grand n’importe quoi. Essayons donc de remettre un peu d’ordre dans ce bazar.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#f7e51e »]B[/mks_dropcap]asement 5 est créé à Londres en 1978 par JR à la guitare, Leo Williams à la basse, Richard Dudanski à la batterie, et Winston Fergus au chant. Vous dire à quoi ressemblait leur musique à ce moment-là m’est absolument impossible, si ce n’est que les préoccupations du groupe étaient en lien avec la situation anglaise de l’époque (montée du Thatcherisme, pauvreté galopante, inégalité croissante, situation sociale inquiétante, etc…).
Par contre, ce qu’on peut deviner aisément, c’est que ça devait déjà être un boxon sans nom, à tel point qu’en 1979 Fergus jette l’éponge et passe le relais à Don Letts (vidéaste officiel des Clash et futur créateur de Big Audio Dynamite avec Mick Jones) qui, lui, laisse tomber le groupe encore plus rapidement que Fergus (abandon qu’on peut probablement mettre en lien avec le fait qu’il manageait The Slits et son activité de vidéaste), laissant le chant libre à Dennis Morris, photographe (il rencontrera Bob Marley en 1974 et sera son photographe officiel jusqu’à son décès), designer (le sigle de PIL, c’est lui, le design du Metal Box aussi) et directeur de la création chez Island.
Voilà pour les chanteurs. Passons maintenant aux batteurs, pour lesquels, vous le verrez, c’est à peine moins chaotique.
En 1978, Richard Dudanski tient les fûts et part pour rejoindre PIL en 1979, remplacé par Anthony Thompson qui s’auto-éjectera du groupe le premier jour de l’enregistrement de 1965–1980, laissant les membres restants sous le choc. Heureusement pour eux, étant potes avec les Blockheads de Ian Dury, ils recrutent leur batteur, Charley Charles, pour l’enregistrement de leur premier album.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#0000ff »]R[/mks_dropcap]eprenons un peu le cours des événements : en 1979 donc, après de nombreux remous, Basement 5 semble trouver une stabilité avec l’arrivée de Morris. Le Jamaïcain va alors prendre le contrôle du groupe et le façonner à son envie. Pour cela, il créera un logo identifiable au premier regard (qu’on peut trouver d’un goût fort discutable mais qui marque indubitablement les esprits), un look complètement décalé (masque de ski, leggings, gants de cycliste), et comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, fera signer le groupe chez Island.
Après, pour Morris, Basement 5 n’est qu’une étape de plus dans son parcours artistique : en 1979, son travail de photographe/designer, plutôt audacieux, étant reconnu par tous (Metal Box aura laissé une empreinte durable), il souhaite mettre sa singularité au service de la musique, en voulant créer de nouveaux paysages sonores. Pour parvenir à ses fins, il fera donc appel au Lee « Scratch » Perry anglais Martin Hannett, tout auréolé de son travail pour le Unknown Pleasures de Joy Division.
Le quatuor va entrer en studio en mai 1980 avec Hannett, et la première journée s’avérera être un véritable traumatisme pour le groupe. En même temps, quand on connaît l’anecdote à propos de Stephen Morris lors de l’enregistrement de Unknown Pleasures, on en arriverait presque à comprendre le départ précipité du batteur Anthony Thompson à la fin de la première journée. Bien évidemment, cet événement laissera des traces, et ravivera les tensions au sein du groupe. Tensions qui auront finalement raison de Basement 5 qui, en 1980, après plusieurs concerts, se séparera, ne laissant en tout et pour tout qu’un album, 1965–1980, un EP (In Dub) et quelques 45 tours.
Voilà pour la bio donc.
1965-1980, limpide et anarchique
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#0000ff »]M[/mks_dropcap]aintenant, pour la musique, vous vous en doutez un peu, c’est à l’image de la carrière éphémère des Londoniens : un sacré foutoir.
Déjà, pour savoir dans quelle catégorie les classer, c’est ardu. Rock ? Punk ? Post-punk ? Reggae ? Dub ? Experimental ? Inaudible ?
Et pourquoi ce titre 1965–1980 ? Pour répondre à toutes ces interrogations, je commencerai par la réponse la plus simple : le titre.
Il correspond plus ou moins à une sorte de journal intime de Morris, de son arrivée en Jamaïque en 1965, jusqu’à l’enregistrement de l’album, évoquant son enfance londonienne, plongée en plein cœur des changements sociétaux irréversibles des 70’s. D’où ces thématiques sur l’immigration, la misère sociale, la montée du Thatcherisme, l’aliénation par le travail et ses répercussions (familiales, sociétales à savoir émeutes, révoltes, etc.), baignées dans une parano digne d’un Philip K. Dick (vous me direz, c’est aussi l’époque).
Si d’un point de vue thématique, 1965–1980 est assez limpide, musicalement, c’est l’anarchie. Riot, morceau introductif, en est le parfait exemple : une alarme pour vous secouer (qui sera le repère du morceau), suivie de très près par une section rythmique dantesque ( basse trempée dans le dub et batterie monumentale), d’une guitare reprenant le motif de l’alarme, et un Morris bien allumé, vociférant de sa voix éraillée et un tantinet prophétique (Riot In America, Riot In Iran, Riot In London, Run run run, He’s gotta gun, He’s Gotta Blow Up The Building, R-U-N). Et surtout une chanson qui ne sait pas vraiment à quel saint se vouer : le punk (même les Clash n’ont pas fait aussi tendu pour leur premier album), le post-punk (la production inimitable en mille-feuilles de Martin Hannett renvoie directement à Joy Division), le reggae, ou les trois à la fois ?
À vrai dire, Morris choisit de… ne pas choisir. Très influencé par le Metal Box de PIL d’un côté, et le reggae de Bob Marley de l’autre, tout au long de 1965–1980, Basement 5 va tremper son reggae contestataire dans la lave froide du dub/punk de PIL en y ajoutant une touche d’expérimental. D’où ce foutoir à la limite de l’audible (le diptyque Too Soon/Omega Man) qu’Hannett aura beaucoup de mal à mettre en ordre (il reconnaîtra quelques mois plus tard que cet album aura été un des chantiers les plus ardus à réaliser de sa carrière de producteur), mais dont les morceaux marqueront certains musiciens à jamais (Dj Shadow, avec son collectif Quannum samplera l’intro d’Omega Man sur Divine Intervention). Faut dire que Riot, et Last White Christmas sont des déflagrations punk qui gardent toute leur pertinence 37 ans après, idem pour le reggae tirant sur le dub d’Immigration ou vers le punk de No Ball Games devenus des modèles pour tous les groupes pratiquant la fusion à la fin des 80’s débuts 90’s (regards vers Urban Dance Squad, Red Hot, RATM, etc…).
C’est sûr, certains titres sont un peu rêches à l’écoute, même quatre décennies plus tard (Hard Work, Union Games), mais une fois de plus, le travail de Hannett aura fait des merveilles. Sa production, identifiable dès les premières notes, est à la fois ample (le travail sur la rythmique, digne d’un Lee Perry) et très minimaliste (celui sur les guitares, renvoyant au post punk de Joy Division, est d’une sécheresse dingue, préfigurant presque le Spiderland de Slint), tout en remettant un peu d’ordre dans cette anarchie musicale afin de la rendre audible voire mélodique.
https://youtu.be/DAyg-LId3lU
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#e30922″]E[/mks_dropcap]n attendant, PIAS réédite ce grand disque, toujours avec le mini album Basement 5 In Dub sur la version CD, sans changements notables quant au son (le mix et la production de Hannett ont été conservés tels quel), mais bénéficiant d’un livret bien plus intéressant contenant des photos rares ainsi que les paroles.
Bref, si pour Noël vous voulez faire un cadeau original sans vous ruiner, n’hésitez pas à vous tourner vers cette réédition de qualité, les oreilles du Père Noël vous en remercieront quand il s’agira de faire sa distribution aux quatre coins de la France.
Sortie le 06 Octobre dernier chez PIAS ainsi que chez tous les disquaires anars de France et de Navarre.