[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#06AAC0″]V[/mks_dropcap]oici la première BD d’Aude Mermilliod qui, avec ce projet, a reçu le prix Raymond Leblanc de la jeune création (du nom du fondateur des éditions du Lombard, mais aussi du journal Tintin, etc.).
Un premier coup d’oeil à la couverture et l’on est d’emblée séduit par l’ambiance qui s’en dégage. Elle invite tout simplement à s’aérer l’esprit. Les couleurs sont vives, l’horizon couleur océan se confond avec la mer et ses reflets changeants, ça tombe bien c’est le titre de l’ouvrage. On y voit un homme et une femme plonger dans la grande bleue du haut de la falaise. Y figure aussi un homme plus âgé, spectateur amusé de cette heureuse scène de vie. Et puis enfin, il y a un chien, qui, lui aussi, se jette dans le vide. La photo de vacances est sympathique. Le dessin est réaliste. Il est emprunt d’une certaine poésie. Où transparaît comme un brin de mélancolie.
Bref, on se dit que tout ça est très beau et qu’il ne manque presque plus que le son des grillons pour se sentir à notre tour transporté de bonheur. Mais… l’on se dit aussi que la mariée est trop belle et qu’assurément, au-delà des apparences, se cache sûrement autre chose, comme de petites blessures au fond de l’âme. À l’image des « Gens honnêtes », la série de Durieux et Gibrat (dont le graphisme, tout autant que la manière de nous inviter à suivre le parcours des personnages, offre quelques similitudes avec « Les reflets changeants »), on ne peut s’empêcher de penser que ces gens-là n’ont rien d’ordinaire. Alors que cache ce beau tableau ?
En réalité, dans ce roman graphique dont les pages se feuillettent comme un album de famille, Aude Mermilliod nous entraîne dans le sillage de trois destins croisés : celui d’Elsa, une jeune femme embarquée dans une histoire d’amour compliquée ; celui de Jean, qui rêve de larguer les amarres ; et celui d’Émile, qui ne s’est jamais remis de son départ forcé d’Alger lors de la guerre d’indépendance. C’est sans doute ce personnage qui s’avère le plus complexe à appréhender. Raciste, colérique, il n’en est pas moins attachant. « C’est pas juste un con, c’est aussi une personne », témoigne Jean à son sujet. Un homme dont l’histoire épouse les lignes d’un journal intime, fil conducteur du récit de la BD ; et dont les traits ne sont pas étrangers à ceux du grand-père de l’autrice : ce sont ses mots qui figurent dans le journal intime d’Emile…
D’humeur toujours vagabonde, parfois embrumée, voire noire, Elsa, Emile, nous accompagnent au fil des 195 planches de l’histoire, nous laissant parfois sous le charme de personnages secondaires, comme Idir, l’amoureux transi, ou Yvette, l’amoureuse fataliste.
En tout cas, notre humeur à nous se laisse porter par les pérégrinations de ces personnages hauts en couleur, que l’on aurait bien aimé rencontrer dans la vraie vie, pour tenter de les conseiller, de les épauler, de les écouter.
Oh et puis… non, finalement, restons de ce côté-ci du miroir. On en appréciera que mieux ses reflets changeants.
Les reflets changeants de Aude Mermilliod
Paru chez Le Lombard, Août 2017